Un vent d'acier
n’avait jamais rien fait d’autre que lui. Marat non plus. Robespierre non plus. Ni Claude ni moi non plus, pensait Dubon. Leur grande faute, à eux tous, les révolutionnaires, c’était d’avoir, par manque de vues à longue portée, d’un plan progressif, abandonné la Révolution à ses hasards, d’avoir suivi les événements au lieu de les diriger. Loin d’organiser par avance la république, on avait rechigné jusqu’au dernier moment à l’établir. On l’avait acceptée sous la contrainte des circonstances, et l’on continuait, sous cette même contrainte, à parer au plus pressé avec des moyens de fortune, en pleine anarchie. Quant à Roux, il avait eu sans doute des moments de faiblesse, d’ambition, comme bien d’autres Jacobins ou Cordeliers, mais maintenant, dans sa prison, il montrait une rare fermeté d’âme. Alors que Leclerc – peut-être pour ne pas compromettre davantage Claire Lacombe et Pauline Léon – gardait le silence, Jacques Roux publiait toujours son journal. Il s’y indignait que la Société des Femmes révolutionnaires auxquelles on devait tant de services ait été dénoncée, aux Jacobins, « par des hommes qui eurent recours mille fois à leur courage et à leur vertu », qu’on ait outragé les Cordeliers venus en pétitionnaires à la barre de la Convention.
« Il n’est plus permis, écrivait-il, d’émettre son vœu s’il blesse l’orgueil des hypocrites qui sont à la tête du gouvernement. »
Comme son beau-frère, Claude se sentait mauvaise conscience, car l’accusation lancée au Comité de vouloir se perpétuer, d’exercer une dictature, touchait juste, et cette dictature, bien que l’on eût refusé la rafle générale des suspects voulue par Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, n’avait plus, après le 5 septembre, d’autre ressource que la terreur, la réquisition, la suppression de toute liberté.
Peut-être effrayé par ce qu’il venait d’accomplir, Danton avait disparu. Le 20, Thuriot démissionna du Comité après plusieurs échanges de paroles assez vives avec Robespierre et Saint-Just. Il rejoignit à l’Assemblée la faction dantoniste-brissotine qui, conduite par Fabre d’Églantine, menait la suprême offensive contre le gouvernement révolutionnaire, c’est-à-dire le Comité de Salut public. La date de son renouvellement fournissait l’occasion.
Les derniers jours du mois, la bataille se livra sur ce renouvellement ou la continuation, sur l’organisation constitutionnelle du gouvernement. Autour de Fabre et de Thuriot se groupaient les anciens membres de la Sûreté générale exclus le 13 et les représentants en mission rappelés pour incompétence, abus de pouvoir ou agissements suspects : le médecin Duhem qui, par ses querelles avec les généraux, avait provoqué le désordre dans l’armée du Nord, Goupilleau – le Dragon – en Vendée, Briez un peu trop aimable à l’égard de Cobourg, le brouillon furieux et hypocrite dénonciateur Bourdon de l’Oise, l’incapable Duroy. Tour à tour Barère, Claude, Prieur, Billaud-Varenne, Jean Bon Saint-André opposèrent aux assaillants une vigoureuse défense. Enfin Robespierre prit la parole. Il décrivit l’immense tâche du Comité : « Onze armées à diriger, le poids de l’Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l’or des puissances étrangères à déjouer, des administrations infidèles à surveiller, à poursuivre, partout à aplanir des obstacles et des entraves à l’exécution des plus sages mesures, tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider. » Passant alors à la contre-offensive, il écrasa l’adversaire en déclarant :
« La conduite du Comité déplaît aux intrigants, tant pis ! Elle plaît au peuple, c’est assez. Le système d’organiser constitutionnellement le ministère n’est autre chose que celui de chasser la Convention elle-même. C’est vouloir faire triompher les intrigants aux dépens des patriotes, et assassiner la patrie sous prétexte d’assurer sa tranquillité. »
L’application de la Constitution fut définitivement renvoyée au temps où la république serait délivrée de ses ennemis. En attendant, l’acte constitutionnel fut enfermé dans un coffret de cèdre placé dans la salle de la Convention, devant l’estrade présidentielle.
Avec ce mois de septembre 93, une époque finissait. Malgré l’opposition de
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