Un vent d'acier
prétentieux qui tranchait du haut de sa cravate. Que savait-il pour peser les mérites d’un général, cet ex-colonel de village ?
Comme Claude insistait, déclarant : « Delmay est notre meilleur stratège.
— Nous n’avons pas besoin de stratèges, répondit Carnot avec sa brusquerie. Il nous faut des généraux qui obéissent, des généraux qui ne battent pas en retraite pour une raison ou une autre, des généraux heureux. Jourdan est tout cela, je propose Jourdan.
— Bon, dit Claude, embarrassé, Jourdan est un excellent chef, mais il n’a pas l’envergure d’un Delmay. Je ne crois pas qu’il convienne aux grands premiers rôles.
— C’est un général vainqueur, je le répète.
— Bah ! s’exclama Robespierre, peu patient quand il s’agissait des choses de la guerre. Prenez l’un ou l’autre, qu’importe ! ils sont tous les deux jacobins solides. Et finissons ce débat.
— Tu sais, dit à Claude Saint-Just songeur, combien j’aime et j’estime ton ami. Cependant il faut reconnaître qu’il n’a pas été heureux depuis Jemmapes. Il n’a cessé de se distinguer, mais toujours dans des combats négatifs ou dans des retraites. Cela donne à réfléchir. Avec tous ses mérites, la fortune se refuse à lui, elle sourit à Jourdan dès sa première bataille. C’est injuste de choisir là-dessus. Et pourtant ! »
Robespierre trancha la question. « Brisons là. Toute notre affaire, c’est que l’on nomme un général patriote. Jourdan et Delmay répondent à cela. Que la section de la Guerre décide entre eux et assume la responsabilité de son choix. »
Barère, Thuriot, Saint-Just, Jean Bon Saint-André approuvèrent. Couthon se trouvait en mission dans son Auvergne, Lindet à la commission des subsistances siégeant dans l’hôtel de Toulouse. Carnot recueillit l’avis de Prieur et fit savoir au ministre de la Guerre, Bouchotte, que Jourdan était nommé général en chef de l’armée du Nord.
Quand il reçut sa lettre de service, il commandait effectivement la petite armée des Ardennes depuis neuf jours et n’éprouvait aucune envie de la quitter. Aux représentants, qui lui transmettaient sa nouvelle commission, il répondit aussitôt de sa meilleure plume qu’il ne se connaissait ni la science ni les talents ni l’expérience exigés par un poste si important. En conséquence, son devoir lui ordonnait de décliner cette offre trop flatteuse.
Et diantrement périlleuse. Peu tentant, de succéder à trois chefs dont l’un s’était fait tuer exprès, le suivant avait fini sur l’échafaud, et le troisième allait y monter. En outre, on n’entrevoyait nulle chance de victoire. Si les Austro-Anglais du prince d’Orange étaient pour l’instant repoussés derrière la frontière, les places fortes : Condé, Valenciennes, n’en demeuraient pas moins, pour la plupart, au pouvoir de l’ennemi. Le Quesnoy venait de se rendre. Prisonnière, la garnison – et avec elle l’ancien bataillon de Jourdan, le 2 e de la Haute-Vienne – avait été expédiée en Hongrie. Cobourg se disposait à investir Maubeuge. Pour vaincre, l’armée du Nord devrait accomplir des prodiges. Nulle autre ne se trouvait devant une tâche si difficile, aucun commandement ne comportait tant d’ingrates responsabilités. Les prît qui voudrait. Il faudrait être fou pour s’embarquer dans cette galère. Surtout en un temps où la Louison se mettait à fonctionner avec une célérité inquiétante et une prédilection manifeste pour les cous des généraux.
Après avoir visité ses avant-postes, Jourdan s’alla coucher sans regrets. Le courage ne lui manquait point. Il acceptait sans peur les risques de la guerre. La guillotine, c’était tout autre chose. Brrr !… Au matin, les commissaires de la Convention se présentèrent. « Nous te rapportons ta lettre, citoyen général, lui dirent-ils, et nous venons te lire un décret que tu ne sembles pas connaître. » Ce texte, relatif à la réquisition, spécifiait : « Tout Français qui n’accepterait pas un emploi auquel il se trouverait appelé, sera mis en arrestation sur-le-champ et traduit au Tribunal révolutionnaire. »
Le 26, Jourdan était à Gavrelle, près d’Arras, au quartier général de l’armée du Nord.
Pendant ce temps, à Paris, les troubles populaires provoqués par la misère, la faim, et entretenus par les agitateurs des partis extrêmes, contraignaient le gouvernement à pratiquer bon gré mal
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