Un vent d'acier
Robespierre, le séculaire calendrier grégorien allait céder la place à une division révolutionnaire du temps, à une ère résolument moderne. Désormais, l’année débutait à l’équinoxe d’automne. Elle comporterait encore douze mois : vendémiaire, brumaire, frimaire – nivôse, pluviôse, ventôse – germinal, floréal, prairial – messidor, thermidor, fructidor. Plus de semaines : trois décades, dont les jours se nommeraient primidi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi, décadi, et, à certaines décades, certains jours surajoutés, appelés sans-culottides. Romme, pendant sa détention à Caen, avait imaginé ce calendrier. Les appellations étaient dues à Fabre d’Églantine. Robespierre avait noté dans ses papiers : « Ajournement indéfini du décret sur le calendrier », car il voyait là une arme de l’athéisme. Il ne réussit qu’à retarder de deux mois le vote des nouvelles appellations. Elles ne devinrent effectives qu’en frimaire.
Le 10 du premier mois, 1 er octobre, fut le premier jour de l’an II de la République française. Et le 9 octobre : octidi 18 du même mois, les troupes républicaines s’emparèrent de Lyon. Grâce à Couthon. Les forces de Dubois-Crancé n’étaient pas suffisantes pour investir la ville. Communiquant avec les émigrés et les Piémontais, elle résistait au bombardement. Le paralytique Couthon l’avait vaincue en rassemblant contre elle les patriotes d’Auvergne. Abandonné par le royaliste Précy, coupé de tout secours, menacé d’un assaut général, Lyon s’était rendu à la sommation de Couthon. La Convention décida que la ville serait « effacée du tableau des cités de la république », détruite pierre par pierre. Sur ses ruines on élèverait une colonne avec cette inscription : Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n’est plus. Un exemple terrible était nécessaire. Il fallait racheter le sang de Chalier et des patriotes massacrés par les fédéralistes, montrer à tous les riches bourgeois de France ce que l’on risquait à s’associer avec les aristocrates pour combattre, le peuple. Couthon ne voulut point se charger de cette exécution, il demanda son rappel. Collot d’Herbois et Fouché le remplacèrent.
Avec Lyon, le fédéralisme était anéanti. Dix jours plus tard, Kléber, le jeune Marceau, Merlin de Thionville, prenant leur revanche, écrasaient les Vendéens à Cholet. L’armée de Mayence – « l’armée de faïence », comme disaient les Blancs, décimait la grande armée catholique et royale, et chassait ses débris vers la Manche. La Vendée, à son tour, n’était plus, pouvait-on croire. Le même jour, on apprenait que Jourdan, soutenu par Carnot qui avait dirigé avec lui cette grande bataille, venait, à Wattignies, de contraindre Cobourg à la retraite et de débloquer Maubeuge.
Dans tout ce brillant tableau, une seule ombre, mais combien chagrinante pour Claude : tandis que Jourdan se couvrait de gloire, Bernard, toujours victime des circonstances dont il portait le poids depuis sa nomination à cette misérable armée du Rhin, avait dû abandonner, avec celle de Moselle, les lignes de Wissembourg et se replier une fois de plus, pour couvrir Strasbourg.
Entre-temps, la tête de Marie-Antoinette était tombée, le 16 octobre. Depuis le 1 er août, la Convention avait déféré la ci-devant reine au Tribunal révolutionnaire. Toutefois le Comité ne désirait point sa mort, malgré les Hébertistes qui la réclamaient à grands cris. Par elle-même, Marie-Antoinette, haïe de ses beaux-frères, abandonnée par l’empereur son neveu, ne présentait aucun danger. On pensait la bannir. La section diplomatique songeait à en faire l’objet d’une négociation avec les États italiens, Naples, Toscane, Venise, pour obtenir leur neutralité. À vrai dire, l’idée venait de Danton, qui agissait ainsi par la bande. N’importe, la suggestion réunissait beaucoup d’avantages, et Robespierre en convint, particulièrement celui d’affaiblir l’Autriche en la contraignant ainsi à garnir de ses propres troupes le front italien. Mais la cour de Vienne, prévenue peut-être par un membre du Comité – Claude avait ses soupçons là-dessus – ou par un de ses espions à Florence, avait compris. Elle fit enlever les deux agents diplomatiques, Sémonville et Maret, pendant qu’ils traversaient la Suisse pour gagner l’Italie. Au mépris de tout
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