Un vent d'acier
ami d’Anacharsis Clootz, enfin Maillard (Stanislas) : le Maillard de Septembre.
Dans le choix des suspects ainsi désignés par Fabre, Claude trouvait quelque chose de singulier. Sa mémoire lui représentait certains détails. En août dernier, les rapports de Comte accusaient Danton d’intelligences avec les fédéralistes du Calvados. Rutledge, qui connaissait bien le passé de Fabre d’Églantine, l’avait autrefois dénoncé aux Jacobins comme un ami de Necker et du traître Delessart. Quant à Maillard, sur lequel Fabre s’acharnait depuis quelque temps, à propos de prétendus abus de pouvoir, d’arrestations arbitraires, il était bien incapable de tels méfaits. Atteint de phtisie, depuis le printemps de 93 il crachait le sang, il avait dû abandonner ses tape-dur, et on le chargeait seulement de petites besognes de surveillance. Or Maillard venait de révéler à Héron, sans pouvoir toutefois le prouver, que Danton avait eu quelque part à la conjuration de Michonis pour enlever la reine. Curieux, vraiment curieux de constater que les suspects accessoires du complot de l’Étranger fussent spécialement des hommes redoutables, pour une raison ou une autre, à Fabre d’Églantine ou Danton. Claude signala le fait à Robespierre.
Maillard n’était pas la bête noire du seul Fabre. Sergent et Panis savaient qu’il possédait des documents signés par eux deux au Comité de surveillance, lors des massacres de Septembre dont on leur imputait périodiquement la responsabilité. Cela devenait pour eux une hantise. L’arrestation de Maillard fournissait l’occasion d’inventorier ses papiers. Voilà pourquoi Panis s’était empressé de sauter sur la dénonciation, peu vraisemblable, de Fabre. Ne voulant pas altérer ses bonnes relations avec Panis, Claude se contenta de demander que Maillard, incarcéré à la Force, fût transféré au Luxembourg, plus confortable. Grâce à cet homme de nombreuses vies avaient été sauvées, on devait en tenir compte. On donna un mois à la Sûreté générale pour mener son enquête sur lui. Après quoi, si sa participation au complot de l’Étranger n’était pas établie, il serait remis en liberté.
Si vraiment Danton avait conspiré une évasion de Marie-Antoinette, Claude comprenait fort bien ses sentiments et ne songeait point à les lui reprocher. Peut-être étaient-ce son impuissance, la perspective de cette mort qui l’avaient fait fuir vers Arcis. Et maintenant arrivait le tour des proscrits du 2 juin. Eux non plus, il ne fallait pas songer à les sauver. Le 1 er octobre, les quarante-huit sections avaient envoyé leurs délégués demander à la Convention « le châtiment de Brissot et ses complices ». Déjà Gorsas, imprudemment revenu à Paris, avait été découvert chez sa maîtresse, libraire au ci-devant Palais-Royal, et exécuté le 7 : premier conventionnel à porter sa tête sur l’échafaud. Auparavant, le 3, Amar, après avoir pris la précaution de demander que les portes de la salle fussent fermées et que personne ne pût sortir, avait présenté au nom du Comité de Sûreté générale un rapport concluant à la mise en jugement des Brissotins détenus aux Carmes, et, en outre, de soixante-treize autres girondistes siégeant encore sur les bancs de la droite. Osselin, l’ami de Danton – Osselin exagéré lui aussi parce qu’il n’avait pas la conscience tranquille – réclamait le décret d’accusation contre ceux-ci. La Convention l’eût votée si Maximilien ne s’y fût opposé avec vigueur. Mal reçu d’abord, il avait finalement obtenu que les soixante-treize fussent seulement mis en état d’arrestation.
« La Convention nationale, dit-il, ne doit pas chercher à multiplier les coupables ; c’est aux chefs de la faction qu’elle doit s’attaquer. »
Le 3 du second mois, 24 octobre, Brissot, Vergniaud, le voltairien Sillery – le confident de Philippe Égalité –, l’évêque Fauchet et dix-sept autres Girondins comparurent devant le Tribunal révolutionnaire. Desmoulins, qui pouvait voir là le résultat de son Jean-Pierre Brissot dévoilé, assistait aux débats, dans la ci-devant Grand-Chambre de la Tournelle au somptueux plafond bleu et or, coupée désormais en deux par une sorte de bat-flanc qui maintenait le public de sectionnaires, de curieux, de tricoteuses. Les magistrats portaient toujours le même costume qu’avait porté Claude au tribunal criminel : habit et manteau courts,
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