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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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pénible trajet de Caen à Quimper. Il ne ressemblait plus au fougueux fédéré du 10 août. Lise n’eût pas reconnu l’Antinous dont elle imaginait Manon Roland éprise. Encore qu’il fût le plus jeune de la bande – vingt-six ans – une mauvaise graisse le bouffissait, l’oppressait, et un dégoût universel lui paralysait l’âme. Le suicide de Rebecqui l’avait fortement éprouvé. Pétion aussi était bien changé. Ses cheveux et sa barbe qu’il laissait pousser pour modifier son apparence avaient blanchi en un mois. Il n’était pourtant que dans sa trente-huitième année.
    Barbaroux arriva enfin, à la brune, avec plus d’une heure de retard. Par bonheur, nul curieux n’était, durant ce temps, passé à la croisée des chemins, car ce rassemblement de cavaliers près du calvaire marquant évidemment un rendez-vous eût à coup sûr provoqué les soupçons. Heureusement aussi, on alla bon train ensuite. Bientôt on respira dans l’ombre le grand souffle salin qui rabougrissait les chênes, et l’on parvint bien avant minuit au village de pêcheurs choisi pour l’embarquement.
    Là, les embarras commencèrent. Sous le mince croissant de la lune nouvelle et très basse qui se multipliait sur les crêtes du clapotis, la petite plage dominée par les épaulements d’un fortin était vide. Pas de chaloupe. À l’auberge, où les deux Brestois avaient fait préparer un souper, on n’avait vu aucune embarcation étrangère au village. La chaloupe n’était probablement pas encore venue. On s’attabla. Comble de malchance, dans la grand-salle le propre commandant du fortin vidait avec un sans-culotte local des pots de cidre. Il avait sous ses ordres cinquante homme de garnison et des canons qui auraient vite fait de couler bas toute embarcation suspecte. D’ordinaire, à cette heure, il dormait tranquillement dans son fort. La malencontre voulait que justement ce soir il fût ici.
    Les armateurs montraient de l’inquiétude : il était minuit moins un quart, toujours pas de chaloupe. L’un d’eux parla au patron de l’auberge et courut avec lui réveiller des pêcheurs qui consentirent, moyennant triple salaire, à conduire les « voyageurs » au convoi en partance. Seulement, ma Doué ! à c’t’heure les barques elles étaient su’ l’ flanc dans la vase. Fallait ben compter deux ou trois quarts d’heure d’marée pour qu’elles soyent à flot. Le commandant et son compagnon « maratiste », dans la fumée de leurs libations, regardèrent avec une superbe indifférence sortir les singuliers voyageurs. « Du diable si j’aurais cru que ta bicoque pouvait contenir tant de particuliers », dit simplement à l’aubergiste le commandant qui devait en voir non point sept mais trois fois autant.
    L’absence de la chaloupe était angoissante. Elle tracassait particulièrement Louvet. Son cerveau fertile lui peignait déjà une conspiration ourdie par la Montagne, selon lui royaliste, pour le faire tomber, lui et ses compagnons, entre les mains des Anglais. Savait-on si le capitaine avec lequel les Brestois avaient passé marché n’était pas un traître, à la solde de l’infâme Robespierre ! Pétion, qui avait retrouvé son flegme d’autrefois, haussa les épaules.
    « Si Robespierre savait où nous prendre, il ne nous laisserait pas faire un pas de plus, sois-en sûr. »
    Ils quittèrent la grève, à une heure. Le convoi devait déjà voguer dans l’Iroise. La nuit était sombre. La faucille cuivrée de la lune avait disparu, mais le changement du clapotis en vaguelettes produites par la marée couvrait les eaux d’un filet à larges mailles d’écume blanchoyante. Le flot continuait à monter avec un bruit de lèchement sur le sable et de tapotement câlin sur les rochers dominés par le fortin. Tout y semblait dormir. Pourtant des sentinelles veillaient. Un coup de feu pouvait éclater à tout instant. Enfin on eut doublé cette pointe. Dès lors on cessa de ranger le rivage et l’on piqua en plein à travers la rade noire, immense et silencieuse. Personne ne parlait dans la barque, les pêcheurs tiraient avec régularité sur leurs longues rames, changeant parfois de direction. On ne voyait rien.
    Ils errèrent ainsi toute la nuit. Louvet s’agitait, dévoré d’inquiétude. La trahison était certaine. Barbaroux, Pétion roulés dans leurs manteaux, dormaient. La tête entre ses mains, Buzot songeait sans doute à M me  Roland. Les étoiles

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