Un vent d'acier
encablure, chaque navire suivi par son essaim de mouettes. Les énormes châteaux arrière, en retombant à la lame, l’écrasaient sous leur voûte d’arcasse dans une véritable explosion d’écume.
Pour les cinq fugitifs, ce spectacle était magnifique mais terrifiant. Leur cœur patriote vibrait devant cette puissante flotte surgissant de la mer sous le drapeau de la nation. Pourtant le pavillon anglais eût été moins redoutable pour eux que ces trois couleurs. Ils se cachaient dans la chambre dont ils évitaient les fenêtres, à travers lesquelles on aurait pu les apercevoir des sabords défilant à leur hauteur. Le capitaine Mac Dougan se tenait sur la dunette, prêt à répondre au premier porte-voix qui l’interpellerait. Il n’en eut point la peine, nul vaisseau n’accorda la moindre attention au brick. L’escadre était là pour protéger le cabotage non pour en faire la police. Elle poursuivit sa croisière tandis que l’Espoir gagnait dans le sud-est sans plus rien craindre des corsaires anglais, au moins pour le moment.
Le soir, on découvrit de nouveau des voiles, droit devant. Après les avoir examinées, le capitaine les déclara françaises et marchandes. Or, voilà que l’une d’elles, virant au vent, se mit à cingler droit sur le brick.
« Êtes-vous sûr, capitaine, demanda Louvet, d’avoir bien distingué ses couleurs ? »
En ce moment, comme le navire mystérieux accourait beaupré pointé, amures à bâbord, ses huniers masquaient sa corne de brigantine : on ne pouvait voir le pavillon.
« Je ne suis sûr de rien, répondit Mac Dougan à mi-voix, hormis que, si ce n’est là le convoi, nous serons demain en Angleterre. »
C’était bien le convoi, car, en avançant, on reconnut tout un rassemblement de mâtures variées, tanguant, roulant dans le creux des lames. Mais le navire n’en cinglait pas moins de la façon la plus agressive. On put s’apercevoir qu’il portait la flamme de guerre, et bientôt on reconnut une frégate française. L’équipage du brick montra sa joie, il n’avait plus rien à redouter. Il n’en allait pas de même pour le capitaine ni pour les Brissotins. Ce bâtiment, détaché de l’escorte, ne courait ainsi sur l’Espoir qu’afin de l’arraisonner, cela ne faisait point de doute ; et, pour eux six, une visite c’était l’échafaud. La frégate se rapprochait rapidement, inclinée sous sa haute voilure, tapant dans la vague qui rejaillissait jusqu’au filet de beaupré, inondait la figure de proue : une femme casquée. Sous les bossoirs soutenant l’ancre, s’amorçait la ceinture des quarante canons. Les premiers pointaient hors des sabords, en position de chasse.
Devant cette allure menaçante, le capitaine Mac Dougan, sans modifier sa route, avait fait serrer progressivement de la toile. L’ Espoir, ne marchant plus qu’à faible vitesse, roulait désagréablement pour les estomacs peu marins. Mais l’angoisse défendait du mal de mer les cinq fugitifs. La frégate arrivait à portée. Elle lofa, cassa peu à peu son erre et mit en panne, dérivant lentement. Elle présentait son flanc hérissé des vingt pièces des deux batteries bâbord. De la dunette, une voix métallique tomba, dominant les sifflements du vent et le bruit de l’eau.
« D’où venez-vous, numéro 18 ?
— De Brest, répondit Mac Dougan dans son pavillon.
— Vous êtes bien arriéré !
— J’ai perdu beaucoup de temps pour sortir. J’ai dû faire demi-tour devant des voiles suspectes. »
Il y eut un silence, puis la voix de cuivre reprit : « Avez-vous des passagers ?
— Non. Des marchandises seulement. » Nouveau silence, enfin l’ordre redouté arriva : « Mettez en panne. »
Le capitaine obéit. On contrebrassa les vergues. Sur la frégate, des gabiers à bonnet rouge s’activaient dans la grand-hune et dans celle d’artimon. Un instant plus tard, la chaloupe, enlevée de la grand-rue, apparut au bout de ses palans, passa par-dessus le bastingage et vint s’affaler à la mer, montant et descendant sur les vagues. Les avirons furent armés par les matelots au chapeau de toile cirée, l’embarcation s’écarta.
« Nous sommes perdus, dit Guadet. Jetons-nous dans les flots pour ne point compromettre le capitaine.
— De toute façon, je le suis, répondit-il. Mon équipage parlera. Défendons-nous plutôt, vendons chèrement notre vie. »
Ils possédaient tous des pistolets, ils les chargèrent. Le
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