Un vent d'acier
courageux Écossais, mettant les siens dans les poches de son habit, remonta sur le château. Là, il n’en crut pas ses yeux. La chaloupe avait gagné l’arrière de la frégate et celle-ci, par un de ses sabords d’arcasse, passait à l’embarcation le bout d’un câble qu’elle se mit, en forçant de rames, à traîner vers le brick. Seigneur Dieu ! ces malheureux s’étaient imaginé de le remorquer ! Ils le croyaient mauvais marcheur ou mal servi, lui qui aurait pu rivaliser avec la frégate. Ah ! c’était trop joli ! Le capitaine se précipita pour rassurer ses passagers, puis alla sur l’avant surveiller la chaloupe. Abritée par l’étrave de l’ Espoir, elle se balançait doucement en eau calme. Un de ses marins crochant dans la sous-barbe, et d’autres avec leurs gaffes, empêchaient l’embarcation de tosser contre le taille-mer du brick qui se soulevait au tangage. Anselme avait lancé un filin pour saisir le câble, on le hissait. Debout sur le tillac de la chaloupe, un jeune officier en culotte rouge, gilet rouge, habit bleu, le bicorne crânement campé, dirigeait la manœuvre.
« Capitaine Mac Dougan ? dit-il en l’apercevant. Lieutenant Dubon, de la République. Faites mailler la remorque sur votre chaîne d’ancre, citoyen. Quand j’aurai regagné mon bord, gardez votre foc, hissez un tourmentin, carguez tout le reste. Et veillez à ce que votre navire n’embarde pas. »
Mac Dougan se retint de sourire. Ces conseils d’un blanc-bec, à lui qui avait vingt ans de mer !
« Je n’y manquerai pas, citoyen lieutenant. »
Continuer à passer pour un marin d’eau douce, c’était le meilleur moyen de rendre plausible son retard. Mais le jeune officier observait d’un œil assez inquiétant le brick, ses lignes d’eau, les façons des matelots. En dépit de sa jeunesse – vingt-cinq ans au plus –, ce garçon semblait fort compétent.
En réalité, Fernand atteignait tout juste ses vingt et un ans. Sa haute taille, sa carrure trompaient. Depuis la prise de la Bastille, le neveu de Claude s’était beaucoup développé, et même depuis le printemps de l’année précédente, où Bernard avait fait sa connaissance à Paris, lorsque Fernand n’était encore qu’aspirant de marine. À présent, il portait l’épaulette. Il avait participé avec la flotte de Toulon à l’expédition du contre-amiral Truguet en Sardaigne, puis commandé lui-même, pendant trois mois, un lougre de huit canons qui faisait la chasse aux Anglais dans la Manche. Depuis un mois, Jean Bon Saint-André, cherchant des officiers instruits pour la flotte de Brest, l’avait envoyé sur la République avec le grade d’enseigne de vaisseau. Il remplissait les fonctions de troisième lieutenant.
En rentrant à bord, il alla rendre compte au commandant : un quadragénaire fort vulgaire, ancien maître d’équipage, qui devait à la Révolution et à l’émigration de tous les officiers d’être passé capitaine de frégate. « Ce numéro 18 a quelque chose de suspect, citoyen, lui dit Fernand. Quand les vigies l’ont signalé, il filait comme une mouette. » Si bien que, le prenant pour un corsaire ennemi, car eux non plus ne voyaient point son pavillon ni son numéro de convoi, ils lui avaient couru sus. « Il n’a ralenti qu’en brassant de la toile. Ce n’est pas du tout un mauvais voilier. Il est de plus parfaitement tenu, et ses matelots en remontreraient à beaucoup des nôtres. Je ne croirai jamais que ce bâtiment ait pris douze heures de retard s’il n’a pas relâché sur sa route, ou bien croisé au large. »
Il pouvait avoir mainte raison de faire l’un ou l’autre : prendre à terre des agents royalistes, ou, en mer, des espions de Pitt, des armes pour les contre-révolutionnaires qui s’agitaient encore en Gironde, ou des ballots de ces faux assignats dont les Anglais inondaient la France.
« Foutaises ! déclara le commandant montagnard en soufflant la fumée de son brûle-gueule. Ces faillis capitaines au commerce sont tous des hale-boulines, voilà tout. Du reste, citoyen, tu n’as qu’à garder un œil sur lui en attendant la visite, à Blaye. Faudra bien qu’il y aille, hein ! »
Garder l’œil sur lui. Facile à dire ! On devait courir sans cesse comme le chien du troupeau, pour rassembler ces marchands, incapables de tenir leur place dans le convoi. Par crainte de se jeter les uns sur les autres, avec cette grosse mer, ils tendaient toujours à se
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