Un vent d'acier
faire.
« Si tu peux piquer quelques bons gabiers sous une raison ou une autre, n’y manque pas, lieutenant. Mais ça me surprendrait qu’il y ait des marins dans ce ramassis de bailles. »
Fernand prit donc un piquet de soldats de marine, et, dans la chaloupe, se dirigea vers l’ Espoir où le second, Anselme, l’accueillit poliment. Lorsque le jeune lieutenant demanda Mac Dougan, le second lui répondit d’un air tranquille que le capitaine n’était pas là.
« Il est parti à la première heure, avec le flot.
— Parti ! Pour où ?
— Pour Bordeaux. J’y dois conduire le brick. Le capitaine nous retrouvera là-bas. »
Cela n’avait rien d’extraordinaire. Nombre de ces marchands, au lieu de perdre ici une journée, allaient droit au port, traiter leurs affaires avec des affréteurs en attendant le navire que le second suffisait à mener.
« Comment est-il parti ?
— Dans son canot, avec quatre hommes. »
En effet, toutes les autres embarcations étaient là. Seul manquait, au portemanteau du couronnement, ce très petit bateau dans lequel l’Écossais n’avait pu emmener grand-chose ni grand monde. L’appel de l’équipage, d’après le rôle, prouva que tous les matelots se trouvaient à bord, hormis les quatre canotiers mentionnés par le second.
« Écoute-moi bien, citoyen, lui dit Fernand. Tu es sûr que depuis Brest vous n’avez relâché nulle part, vous n’avez rien reçu d’un navire en mer, vous n’avez embarqué ou débarqué aucun passager ? Attention à ce que tu vas répondre. »
Anselme ne se troubla point. Blouser l’arrogante marine de guerre lui plaisait fort. Ni lui ni l’équipage n’eussent balancé à trahir leur capitaine, s’il le fallait ; mais ce n’était pas leur intérêt, loin de là, car ils seraient tous considérés comme ses complices, et réquisitionnés. De plus, les passagers leur avaient distribué en remerciement cinq cents livres que l’on ne tenait nullement à perdre. Enfin, si cet enseigne malin nourrissait des soupçons, à sa façon de questionner on voyait bien qu’il ne savait pas le plus petit bout de la chose. Aussi Anselme répondit-il d’un ton assuré :
« Citoyen lieutenant, nous n’avons rien fait de tout ce que vous dites. De Brest ici, le brick s’est dérouté simplement pour fuir devant des voiles inquiétantes. Tout notre retard est venu de là. Du reste, interrogez nos gens. »
Ils approuvaient tous de la tête.
« Sacrés bougres ! s’exclama Fernand, vous êtes trop forts pour moi, vous et votre capitaine. Vous nous avez joués, je ne sais comment, mais vous nous avez joués. Vous avez dû bien rire en nous voyant vous porter cette remorque, hein ? »
Il regardait avec envie ce fin navire, son pont briqué à blanc, ses peintures propres, ses voiles ferlées et non point abandonnées sur leurs cargues comme elles le restaient encore chez la plupart des voisins, ses manœuvres tournées aux cabillots des râteliers, ses cordages lovés à plat pont, prêts à être filés au premier besoin. Bon Dieu ! commander ce brick ! Avec dix canons de 6 en batterie barbette, et peut-être des batteries de 8 que l’on pourrait installer en établissant un faux pont, on en ferait voir de dures aux corsaires anglais.
Au contraire de Bernard qui se battait par nécessité, Fernand aimait passionnément se battre. Courir à pleines voiles sur un adversaire, le forcer de vitesse, ou par ruse lui couper la retraite en le mettant sous le vent, sentir le vaisseau se soulever en lâchant son tonnerre – ces grondements formidables, ces sifflements de l’air peuplé de fonte, cette fumée poivrée, cette ivresse, ce resserrement des entrailles –, et en même temps rester maître de soi, penser vite, voir clair, imposer sa puissance et sa volonté à l’ennemi : ça, c’était vivre, c’était aussi merveilleux que de faire crier et bondir de plaisir quelque belle fille. Avec ce navire et son équipage, les occasions de se battre ne manqueraient point. Mais Fernand haussa les épaules en poussant un soupir. On ne pouvait tout de même pas demander la réquisition sans avoir le moindre petit bout de preuve. Comme les gens du fort arrivaient, il leur céda la place, bien sûr qu’ils n’y trouveraient rien maintenant.
Les fugitifs étaient désormais à l’abri sur cette terre girondine : à leurs yeux, le dernier camp de la république et de la liberté. Laissant le capitaine continuer vers
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