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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Fleuriot-Lescot, qui ne laissait aucun espoir ; on condamnait en elle l’égérie de la Gironde. Elle avait du poison caché, mais n’en usa point, voulant subir le supplice, comme elle s’était refusée à fuir, le 2 juin. Dans son cachot, au-dessus du cloître donnant sur la cour des femmes, elle écrivit les dernières lignes de ses dernières pensées : « Nature, ouvre ton sein ! Dieu juste, reçois-moi ! À trente-neuf ans ! » Et cet adieu secret à Buzot : « Adieu ! Non, c’est de toi seul que je ne me sépare point. Quitter la terre, c’est nous rapprocher. »
    Le lendemain, à quatre heures et demie, elle sortait du greffe, montait à son tour les cinq marches précédant la petite grille derrière laquelle attendait la charrette rouge. L’aboyeur n’avait appelé ce jour-là que deux condamnés : la citoyenne Roland, un certain Lamarque, ancien directeur général de la fabrication des assignats. Cet homme, affaissé contre les ridelles, tremblait de terreur. Tout au long du trajet, Manon lui parla, lui sourit, parvint à lui rendre courage. Elle était paisible, élégante dans sa robe de mousseline blanche, avec une anglaise garnie de dentelle, rattachée par une ceinture de velours noir. Le temps de novembre brumeux et froid ne la faisait point frissonner, il avivait ses couleurs. Au pied de l’échafaud, elle dit doucement à Lamarque :
    « Montez le premier, vous n’auriez pas la force de voir couler mon sang. »
    Un spectateur qui avait suivi de près l’exécution, en rapporta les détails, le soir, dans une petite pension où une dame Godfroid éduquait des jeunes filles. Il prétendit avoir entendu M me  Roland, devant l’énorme statue de la Liberté dont la figure de plâtre rongé par la pluie présidait aux supplices, prononcer distinctement ces ultimes paroles : « Liberté, liberté ! Que de crimes on commet en ton nom ! » Parmi les jeunes filles, une enfant de treize ans, aux longs cheveux noirs, écoutait ce récit en se mordant les lèvres. C’était la petite Eudora. L’un des plus fidèles amis des Roland, Bosc, traqué lui-même, l’avait dissimulée ici sous un faux nom. Personne ne savait qu’elle entendait en ce moment raconter la mort de sa mère. Elle eut la force de retenir ses sanglots jusqu’à ce qu’elle pût se cacher pour pleurer.
    Son père, réfugié d’abord dans la petite maison de Bosc, à Montmorency, en était parti dès la fin juin pour Rouen où deux de ses vieilles amies lui offraient chez elles un sûr asile. Il apprit là par les journaux la condamnation de sa femme et déclara qu’il ne lui survivrait point. En vain, ses protectrices l’exhortèrent, lui remontrant qu’il se devait à sa fille. Il ne voulut rien entendre. Alors, elles entrèrent dans ses vues, peut-être avec l’arrière-pensée de gagner quelques jours pendant lesquels s’amortirait sa douleur. Elles délibérèrent avec lui. Un projet fut longuement débattu : il consistait pour Roland à regagner secrètement Paris, à paraître soudain au milieu de la Convention pour y proclamer les vérités indispensables au salut du pays. Après quoi il eût immanquablement suivi Manon sur l’échafaud. Ce dessein convenait fort au caractère de Roland, néanmoins il l’abandonna parce que son jugement entraînerait la confiscation de ses biens. Eudora en serait ainsi privée. Le sexagénaire résolut d’en finir lui-même, au plus tôt. Il embrassa ses amies, s’éloigna de chez elles pour ne les point compromettre, sortit de la ville. La nuit se fermait, il était six heures. Roland suivit la route pendant quelque temps puis, entrant dans l’allée du château de Coquetot, il s’assit sur un talus, au pied d’un arbre, et s’enfonça dans le cœur le fer de sa canne-épée. Au matin, des passants qui aperçurent cet homme paisiblement adossé à un tronc, la tête sur la poitrine, le crurent endormi. De plus près, ils virent le sang.
    La mort de l’ancien ministre fut bientôt annoncée à Rouen. Legendre s’y trouvait en mission. Il alla reconnaître le corps. On avait découvert sur lui deux billets ; l’un ainsi conçu : « Qui que tu sois qui me trouves gisant, respecte mes restes. Ce sont ceux d’un homme qui est mort comme il a vécu : vertueux et honnête. Puisse mon pays abhorrer enfin tant de crimes et reprendre des sentiments humains et sociaux. » Et l’autre : « Non la crainte, mais l’indignation. J’ai quitté ma

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