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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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retraite au moment où j’ai appris que l’on allait égorger ma femme, et je ne veux plus rester sur une terre couverte de crimes. » Legendre était gueulard, capable de violentes colères, mais nullement inhumain. Il fut ému. Il n’approuvait pas la politique de la terreur ; seulement, ses propres Cordeliers le dépassaient. Hébert, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois lui faisaient peur, la crainte lui fermait la bouche.
    Sur la place de la Révolution, les têtes continuaient à tomber comme les dernières feuilles des Tuileries, du Cours-la-République. Bailly, condamné pour la fuite du roi et le massacre du Champ de la Fédération, dit à ses juges : « J’ai toujours fait respecter la loi, je saurai m’y soumettre. » Il devait être exécuté sur les lieux le son crime. La guillotine se dressait donc, pour la circonstance, devant les vestiges de l’autel de la patrie. La foule s’ameuta, criant que l’endroit où avait coulé le sang des martyrs ne devait pas être souillé par celui de l’assassin. Il fallut démonter l’échafaud, le remonter dans un des fossés près de l’immense tas d’ordures formé par la voirie du Gros-Caillou. Le vieux savant attendit, la chemise échancrée, les mains liées derrière le dos. Il grelottait sous la pluie glacée.
    « Tu trembles, Bailly ! lui lança un des assistants.
    — Oui, mon ami, mais c’est de froid. »
    La guillotine reprit sa place habituelle pour expédier Manuel : Manuel, le prédécesseur de Chaumette, le premier qui, avec Dubon, avait réclamé à la Commune l’établissement de la république. Mais les Hébertistes ne lui pardonnaient point de s’être intéressé au malheur de la famille royale, d’avoir protesté contre la mort du ci-devant roi. Il périt. Et après lui le général Lamarlière, comme complice de Custine, le général Houchard, le général Brunet, coupables de n’avoir pas vaincu. Puis l’ancien ministre Duport-Dutertre, puis Barnave. Puis Rabaut Saint-Etienne, Kersaint, Osselin et la belle aristocrate qu’il espérait sauver en outrant le sans-culottisme. Puis la Du Barry, condamnée non pas comme ancienne favorite de Louis XV ni comme maîtresse de Brissac, mais pour sa complicité avec les banquiers Van den Yver, bailleurs de fonds de l’émigration. Retirée dans sa maison de Louveciennes, elle avait été dénoncée par son nègre Zamore. L’agent américain Greive fournit à Fouquier-Tinville les preuves de sa culpabilité. Cette femme de cinquante ans, encore belle, qui tenait à la vie, ne cessa, de la Maison de justice – on ne disait plus le Palais – à l’échafaud, de se tordre en hurlant, d’implorer la pitié, de crier avec désespoir qu’elle ne voulait pas mourir.
    Nicolas Vinchon avait voulu voir la célèbre créature, il fut stupéfait par ces façons. Personne ne se comportait de la sorte, jamais. Les clients au fils Sanson (le père ne paraissait plus depuis l’exécution du roi, et certains prétendaient qu’il en était mort de douleur) se montraient toujours soumis à un sort dont ils reconnaissaient évidemment la justesse. Les uns, muets, la tête basse, semblaient accablés sous le poids et la honte de leurs crimes contre la nation. D’autres morguaient ou gardaient une attitude fière, comme la ci-devant reine, souriaient, comme la femme à Roland, chantaient, comme les Brissotins. Beaucoup plastronnaient, plaisantaient entre eux, échangeaient des lazzi avec la foule accompagnant les charrettes. La fin de ces coupables repentants ou de ces coupables impénitents qui narguaient le supplice, faisaient les fanfarons et se disputaient la gloire de passer les derniers, n’émouvait personne. C’était une comédie, gratuite, à laquelle on attendait les acteurs. Comme on n’avait, hélas, plus guère de besogne à la boutique, qu’on ne prenait pas la garde tous les jours, on allait là savoir quelle figure y ferait tel ou tel. En se plaçant le plus près possible de l’endroit où s’arrêtaient les charrettes, et où les condamnés attendaient leur tour de monter à l’échelle, on les entendait parfois dire des mots qui, assurément, deviendraient historiques comme ceux des anciens, cités par les livres de colportage. Nicolas, quand il pouvait recueillir ces phrases, ne manquait point de les noter dans le cahier où il avait pris soin de coucher par écrit tout ce qui s’était déroulé sous ses yeux depuis l’installation de l’Assemblée

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