Un vent d'acier
l’emportaient, entraînant la France aux abîmes.
« Quoi qu’il t’en coûte, la patrie l’exige, sacrifie Barnave. Je sais des victimes plus innocentes », dit Maximilien à Claude.
Ils rentrèrent dans la salle blanche et or, illuminée par son grand lustre de cristal sous le plafond où Mignard avait peint la Nuit dans un manteau semé d’étoiles.
« C’est bon, déclara Claude, je consens à la mesure puisqu’elle est de salut public, mais le diable m’emporte si je signe votre arrêté !
— Nous respectons tes sentiments », dit Billaud-Varenne. Lui et Collot d’Herbois – pour le moment encore à Lyon où il exerçait avec Fouché des représailles exemplaires, écrivait-il – ménageaient Claude. Ils espéraient le gagner. Car il se trouvait, au Comité, dans une situation singulière. Absolument opposé à la démagogie et aux exagérations des Hébertistes, il était cependant d’accord avec eux sur les principes. Leurs idées de démocratie absolue, de suppression des fortunes, de mise en commun de toutes les ressources étaient les siennes longtemps avant que Gracchus Babeuf les eût exprimées. Mais surtout il s’approchait d’eux dans l’immédiat, et s’écartait de Robespierre, sur la question religieuse. Pour lui comme pour eux, il n’y aurait pas de véritable liberté tant qu’il existerait une religion, et il ne leur plaisait pas que la Constitution inspirée par Robespierre fût placée sous l’invocation de l’Être suprême.
Aux yeux de Claude, la constitution civile du clergé importait autant que la suppression des privilèges et la Déclaration des droits. Mais elle ne représentait qu’une étape sur la route de la libération totale, c’est-à-dire la disparition du clergé, de toute église, de tout culte. Pour y parvenir, il comptait sur l’instruction : en éclairant le peuple, on le détacherait de ses croyances ridicules, vestiges de l’obscurantisme. Si, en 91, sur les bancs de la Constituante, et aux Jacobins, il s’était élevé contre les persécutions religieuses, c’est d’abord qu’il ne voulait pas voir la Révolution emprunter au catholicisme romain son fanatisme et ses moyens de despotisme : son Inquisition, sa Saint-Barthélemy, sa révocation de l’Édit de Nantes, ses déportations massives, ses dragonnades, sa tyrannie contre les Jansénistes. Et, deuxièmement, parce qu’il estimait que toute persécution aboutit à renforcer ce qu’elle veut détruire. C’est pourquoi, à cette époque, il tenait tête si fermement sur ce point aux Jacobins de Limoges et à l’homme aux lunettes. Mais depuis il y avait eu les outrances sanglantes des catholiques du Midi, la férocité des prêtres vendéens, la guerre d’un clergé qui entretenait partout l’esprit contre-révolutionnaire, se faisait inlassablement le complice de l’émigration sinon l’agent de l’étranger. Beaucoup même de jureurs n’avaient prêté serment que par feinte, sous le couvert de la loi ils prêchaient la contre-révolution.
Claude en arrivait à considérer d’un œil assez favorable le guillotinage quand il s’agissait de prêtres, voulait avec les Hébertistes que la loi n’admît plus aucune espèce de pratiques religieuses, et approuvait entièrement leur campagne de déchristianisation. Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, Fouché, Chaumette, Hébert, Clootz l’ex-baron allemand – second protecteur à Paris de Babet Sage –, Vadier, Voulland, Amar, Ruhl poussaient avec diligence, sur tout le territoire, leurs efforts pour substituer à une religion absurde le culte de la Raison. Robespierre, plein de religiosité, comme son vénéré Jean-Jacques, se cabrait là contre.
Au fond, songeait Claude, c’était Voltaire et Rousseau qui, par-delà leurs tombes, s’affrontaient aux Jacobins où d’aigres paroles avaient été échangées. Mais Maximilien ne pouvait pas grand-chose contre l’influence d’Hébert sur l’esprit public ; Le Père Duchesne, distribué dans toute la France, aux armées, à la flotte, tirait à six cent mille exemplaires. Le club de la rue Saint-Honoré montra qu’il ne suivait point là-dessus son prophète, en retirant la présidence à Laveaux, directeur du Journal de la Montagne où il venait d’écrire un article déiste, probablement inspiré par Robespierre, pour donner le fauteuil à Clootz.
La Convention elle aussi s’accordait à cette campagne. Elle avait supprimé les traitements
Weitere Kostenlose Bücher