Un vent d'acier
il s’entendait très bien avec Prieur. Leur collaboration pour tout ce qui touchait à l’armement, approvisionnement, fournitures, produisait les résultats les plus satisfaisants – auxquels Lise ne demeurait pas étrangère. On lui avait donné la surveillance générale des ateliers de citoyennes qui travaillaient bénévolement, dans les églises et les théâtres désaffectés, à la confection de la lingerie, des tricots et des couvertures pour les soldats. Elle parvenait à faire fabriquer ainsi plus de deux mille chemises par jour. Mais Claude était en bisbille avec Carnot : seul maître de la guerre. À propos de Bernard.
Depuis la démission de Beauharnais, Bernard se trouvait pratiquement commander en chef les armées du Rhin et de Moselle au moment où, coupées l’une de l’autre par la ligne des Vosges qu’occupaient Wurmser et Brunswick réunis, manquant de tout, désorganisées par l’exclusion des officiers ci-devant, traitées en ennemies par les populations, et enfin attaquées par des forces supérieures en nombre et en armement, elles avaient dû abandonner la Haute-Alsace, laissant Landau et Wissembourg encerclés. Là-dessus, Saint-Just et Le Bas étaient arrivés en mission à Strasbourg. Déployant une farouche énergie, terrifiant, réquisitionnant, imposant les riches, ils avaient contraint les Alsaciens à nourrir, vêtir, chausser, loger les armées, soigner les malades, et en même temps rétabli la discipline parmi les troupes écœurées de l’abandon où la république les laissait. De plus, la levée en masse et le prodigieux effort accompli depuis trois mois par le Comité de Salut public commençaient alors de produire effet. Des hommes, des armes, des munitions parvenaient chaque jour à Haguenau, ainsi que de nouveaux généraux : Desaix, adjoint depuis un mois à l’état-major, Hoche qui avait brillamment combattu à Dunkerque en liaison avec Jourdan, et remplaçait Pichegru promu divisionnaire sur la proposition de Bernard.
Celui-ci se voyait donc au point de pouvoir prendre bientôt l’offensive, lorsque Saint-Just était venu lui dire que Hoche, nommé par Carnot général de division, allait commander l’armée de Moselle. À Paris, Claude n’avait pas protesté là-contre : rien de plus normal que de prévoir un chef pour chacun de ces deux corps séparés par le massif montagneux et contraints d’opérer à une assez grande distance l’un de l’autre. Mais maintenant l’affaire se gâtait. Hoche, d’abord battu par Brunswick à Kaiserslautern, puis ayant, au début de frimaire, enlevé Deux-Ponts, traversé les Vosges, délogé Wurmser des lignes de Wissembourg, venait de faire sa liaison avec Bernard. Il avait ainsi exécuté à la lettre le plan prescrit, et Carnot, en lui envoyant l’ordre de débloquer Wissembourg puis de pousser à toute force sur Landau pour reprendre cette place avant le fort de l’hiver, prétendait mettre la double armée sous le commandement en chef de Hoche. Claude n’était pas d’accord, il le dit nettement à Carnot.
« Tu es un dictateur, et d’une révoltante injustice. Quoi ! Delmay a fait des prodiges quand tous les moyens lui manquaient, maintenant le voilà en état de remporter des victoires et tu lui retires le commandement pour en gratifier un de tes favoris ! »
Carnot se contenta de hausser les épaules, l’accusation ne l’atteignait point. Claude se ressaisit, mais il n’admettrait pas cette défaveur obstinément attachée à Bernard pour n’avoir pas été vainqueur dans des circonstances où nul ne pouvait l’être, et parce que ces circonstances avaient voulu que ses qualités apparussent seulement dans des retraites. Tout cela par sa faute, à lui, Claude. Il ne se le pardonnait pas. Si, au lieu de faire donner à Bernard cette maudite armée du Rhin, il l’avait laissé à celle du Nord, à présent il serait en Belgique sinon en Hollande, couvert de gloire, et la république triompherait avec lui au lieu de piétiner avec Jourdan qui n’avait pas su exploiter sa victoire de Wattignies. Il n’osait pas franchir la frontière. Un bon meneur de troupes, plein de courage et de fermeté, rien de plus. Bernard était un homme de guerre d’une tout autre envergure. Il possédait les dons d’un Condé, d’un Turenne. La république lui refuserait-elle l’occasion de les montrer, se refuserait-elle à elle-même la gloire éclatante dont il pouvait la couvrir ?
Exaspéré, Claude
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