Un vent d'acier
demandons pas si un homme va à la messe, à la synagogue ou au prêche ; demandons-nous seulement s’il est républicain. »
Le soir même, Dubon rapporta la chose à Claude. Ils souhaitaient tous les deux que l’on poussât l’avantage à fond contre les Cordeliers exagérés. Robespierre ne le voulut point. Le recul des Hébertistes lui suffisait, pour l’instant. Il fit voter par la Convention un manifeste aux nations étrangères ! « Vos maîtres vous disent que la France a proscrit toutes les religions. Ils mentent. Le peuple français et ses représentants respectent la liberté des cultes, ils n’abhorrent que l’intolérance, quel qu’en soit le prétexte ; ils condamnent les extravagances du philosophisme comme les crimes de l’idolâtrie. » Puis, sur une motion de Barère toujours au plus près du vent, l’Assemblée rendit un décret interdisant à quiconque de troubler ou menacer l’exercice des cultes, sous la seule réserve des mesures prises ou à prendre contre les prêtres réfractaires et turbulents.
En capitulant, Hébert, si lâche qu’il fût, ne renonçait pas à la revanche. « Ne craignez pas d’abattre l’idole du jour, écrivait-il. C’est un crime de ne pas démasquer le traître qui se couvre du masque du patriotisme. »
Toute voilée qu’elle était, la menace se laissait facilement comprendre. On aurait dû écraser ce serpent, mais, Maximilien avait raison : Hébert pouvait encore riposter à l’attaque par des coups redoutables. Il gardait du crédit aux Jacobins où il venait d’être élu membre de la commission d’épuration. Bizarrement soutenu par Desmoulins, il obtint que celle-ci se ferait « à la tribune, à haute voix », une séance par décade y serait consacrée. Il fut un des premiers à subir l’épreuve et se défendit assez mal contre Bentabole qui lui reprochait ses exagérations de toute espèce. Mais on ne l’inquiéta pas sérieusement, les Robespierristes s’en abstinrent. C’est indirectement que Robespierre le frappa en faisant exclure son ami et instrument, Clootz, comme étranger, comme ci-devant noble. Maximilien l’appela Monsieur en l’accusant avec mépris d’avoir « préparé la mascarade philosophique » de Gobel.
Vint le tour de Danton. On l’attendait avec impatience et sans indulgence, mais, Claude le savait, il ne courait aucun risque, car Maximilien, satisfait de son appui dans la lutte contre l’intolérance religieuse, le soutiendrait, comptant aussi qu’ils uniraient leurs forces pour frapper définitivement l’hébertisme, le moment venu. Danton ne pouvait plus porter ombrage à Robespierre, Attaqué par Coupé, quand il parut à la tribune pour se justifier des murmures s’élevèrent. Les échos de sa mauvaise renommée montaient jusqu’à lui, les filouteries de ses amis – d’aucuns disaient : ses complices – l’éclaboussaient. Claude le sentit atteint. Il essayait de faire gronder ses tonnerres, mais ils ne rendaient plus qu’un son de fer-blanc.
« Je somme tous ceux qui ont pu concevoir des soupçons contre moi de préciser leurs accusations. Ai-je donc perdu ces traits qui caractérisent la figure d’un homme libre ? Ne suis-je plus ce même Danton qui s’est toujours trouvé à vos côtés dans les moments d’orage et de crise ? Ne suis-je plus celui que vous avez souvent embrassé comme votre ami et qui doit mourir avec vous ? J’invoque l’ombre de l’Ami du peuple ! J’ai été un des plus intrépides défenseurs de Marat. Vous serez étonnés, quand je vous ferai connaître ma conduite privée, de voir que la fortune colossale dont mes calomniateurs m’accablent se réduit à la petite portion de biens que j’ai toujours possédée. »
Claude ne le voyait pas sans pitié se débattre de la sorte, ce lutteur naguère si puissant et aujourd’hui écrasé sous le poids de ses incohérences. Il ne jouait plus, ce soir, mais dans la sincérité de son effort il n’était pas de meilleure foi pourtant. Un des plus intrépides défenseurs de Marat : singulière façon d’interpréter sa déclaration de l’an dernier, presque à la même époque : « Il existe un homme dont les opinions discréditent le parti républicain, c’est Marat. » Eh oui, il y a des gens qui ont de la mémoire ! De même pour la petite portion de biens : nier qu’elle se fût notablement accrue en trois ans, c’était nier l’évidence. Naïf Danton ! il avait eu tort de
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