Un vent d'acier
par Camille Desmoulins.
Depuis cinq jours, Claude présidait la Convention. C’était à lui l’honneur de s’asseoir sous le bouquet de drapeaux ennemis, sur le riche fauteuil drapé à l’antique, devant la table soutenue par deux chimères et dominant la tribune, les quatre bureaux des secrétaires, leurs sièges pourpres à franges noires. Claude enregistra d’un regard le titre du journal mais, sans s’arrêter, gagna directement son petit salon situé derrière l’estrade présidentielle. Il devait préparer l’ordre du jour avec les secrétaires. Il s’était mis en retard, au Comité, à écouter les nouvelles envoyées de Toulon par Augustin Robespierre qui chantait les louanges du chef de bataillon Buonaparte et se disait sûr d’une victoire très prochaine. On en avait grand besoin. La date du renouvellement normal du Comité approchait. Si l’on ne pouvait se prévaloir de succès marquants, les Dantonistes auraient beau jeu.
À dix heures, précédé des huissiers, Claude monta au fauteuil, se découvrit et, agitant la sonnette, déclara la séance ouverte. Tandis que se déroulait, en face de lui, à la barre, l’habituel défilé des pétitionnaires auxquels il répondait mécaniquement, il voyait beaucoup de ses collègues lire et se passer la nouvelle gazette. Maximilien lui-même, d’ordinaire attentif aux demandes ou suggestions des députations populaires, lisait cette feuille, les lunettes remontées sur le front. On l’apercevait aussi en bien des mains parmi le public, dans les tribunes des cinq portiques et sur les banquettes bleues étagées en amphithéâtres dans les arcades latérales. Bien que les séances fussent à présent des plus monotones, la salle aux peintures de marbre, avec ses tentures vertes bordées de rouge et relevées par des cordons, avec ses couronnes, ses bustes en faux bronze, était pleine. Parce qu’il y faisait bon. Derrière les fenêtres au-dessus des tribunes, le ciel se montrait sombre, lourd de neige. Et, comme toujours lorsqu’il la sentait dans l’air, Claude avait froid aux pieds. La partie la moins garnie, dans la salle, c’était le long hémicycle où les représentants apparaissaient singulièrement clairsemés. Des sept cent soixante, il en restait à peine deux cent cinquante. La proscription, la guillotine, le poignard avaient fait des ravages sur ces bancs. En outre, nombre de députés qui n’étaient point au cimetière de la Madeleine, en prison ou bien en détention chez eux – comme toute la députation limousine sauf Gay-Vernon et Claude – se trouvaient en mission dans les départements.
Ce matin-là justement, Danton vint s’en plaindre, réclamant le rappel des commissaires exagérés. « Maintenant que le fédéralisme est brisé, dit-il, tout homme qui se fait ultra-révolutionnaire donnera des résultats aussi dangereux que pourrait le faire le contre-révolutionnaire le plus décidé. » Il profita des applaudissements timides du Marais pour conclure : « Après avoir donné tout à la vigueur, donnons beaucoup à la sagesse. » Les Robespierristes ne pratiquaient pas autre chose ; mais, bien entendu, il s’agissait de surenchérir là aussi.
« La Convention nationale », dit ironiquement Claude avant d’accorder la parole à l’hébertiste Fayau, « est heureuse de voir Danton découvrir à son tour une vérité qu’elle s’efforce de pratiquer depuis quelque temps déjà.
— La Convention, déclara Fayau, député vendéen, a montré plus que de la sagesse en réprimant le fanatisme antireligieux, sans trop tenir compte des crimes commis par le fanatisme catholique, en particulier dans ma province. Mais Danton a laissé échapper, involontairement j’espère, des expressions qui ne me plaisent point. Le peuple a besoin d’être terrible, Danton l’invite à la clémence.
— Non, non, il n’a pas dit cela ! » se récrièrent ses amis, effrayés.
Il recula aussitôt. « Je n’ai point parlé de clémence. Loin de moi l’idée qu’il faille être indulgent envers les coupables. Au contraire, je demande tous les jours un gouvernement énergique et révolutionnaire. »
Il finirait bien par se prendre les pieds dans ses lacets trop complexes ; on ne trompe pas indéfiniment son monde. Fayau répliqua, avec humeur, qu’il n’existait pas cinquante façons d’être républicain, et qu’on ne l’était pas si l’on montrait de la « sagesse » envers les ennemis de la
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