Un vent d'acier
croire que l’on puisse jongler perpétuellement avec des sincérités de circonstance. Quand il termina, en offrant de soumettre sa conduite à l’examen d’une commission spécialement nommée, il recueillit de maigres applaudissements. Un malaise planait. Robespierre se leva, fit retomber ses lunettes d’écaille repoussées sur son front et parla gravement.
« Tu demandes qu’on précise les griefs relevés contre toi, eh bien, je vais le faire. Danton, tu es accusé d’avoir émigré. On a dit que tu avais passé en Suisse, que ta maladie était feinte pour cacher ta fuite. On a dit que tu avais l’ambition de t’instituer régent sous Louis XVII, qu’à une certaine époque tout a été préparé pour proclamer ta dictature, que tu étais le chef de la conspiration de l’Étranger, que ni Pitt ni Cobourg ne sont nos plus dangereux ennemis, mais toi seul, que la Montagne est pleine de tes complices. » Il s’arrêta et reprit : « Plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s’acharnent à sa perte, ne le sais-tu pas ? » Puis promenant ses regards sur les visages étagés : « Tous les patriotes sont solidaires, affirma-t-il. J’ai été divisé d’opinion avec Danton ; dans le temps des trahisons de Dumouriez, mes soupçons ont devancé les siens. Je lui reprochai alors de n’être pas assez irrité contre ce monstre, je lui reprochai de n’avoir pas poursuivi Brissot et ses complices avec assez de véhémence. Ce sont là, je le jure, les seuls reproches que je lui adresse. » Il prit encore un temps et ajouta : « Je me trompe peut-être sur Danton, mais vu dans sa famille il ne mérite que des éloges. Sous le rapport politique, je l’ai observé. Une différence d’opinion entre lui et moi me le faisait épier avec soin, parfois avec colère. S’il n’a pas toujours été de mon avis, conclurai-je qu’il trahissait la patrie ? Non, je la lui ai toujours vu servir avec zèle. »
C’est surtout lui-même qu’il servait avec zèle. Maximilien était bien bon de lui apporter cette garantie, non sans restriction, non sans affection aussi. Sans doute, en le sauvant lui laissait-il sentir qu’il aurait pu le perdre et que la menace restait suspendue, mais il n’oubliait pas leur amitié, le temps où il fréquentait familièrement cour du Commerce, où il prenait sur ses genoux le petit Antoine pour écouter sa mère jouant quelque beau morceau de Gossec sur son piano-forte, où il s’intéressait tendrement et timidement à la charmante Adèle. Eh ! lui non plus, Claude, n’avait point perdu le souvenir de cette époque affectueuse, du combat en commun. Si ce sacré Georges voulait bien en finir avec ses turbulences, abandonner ses écheveaux d’intrigues, servir sincèrement la république et non plus se servir de la Révolution à des fins personnelles, on lui pardonnerait volontiers.
Comme Robespierre concluait : « Danton veut qu’on le juge, il a raison. Qu’on me juge aussi ! Qu’ils se présentent, ces hommes plus patriotes que nous ! » Claude répliqua : « Nous jugerons Danton non point sur son passé mais, à l’avenir, sur ses actes. »
Merlin le moustachu, devenu l’un des héros de Mayence, l’un des vainqueurs de la Vendée, rappela qu’entre autres services Danton avait, par son appel à l’audace, sauvé la république. Momoro, nageant entre Hébert et Danton, constata : « Personne ne se présente plus pour parler contre Danton, c’est donc que personne n’a rien à alléguer contre lui. » Il reçut l’accolade du président, Fourcroy. Toute discorde parut oubliée. Desmoulins bégayait de joie à voir l’entente régner de nouveau entre ses deux grands amis Maximilien et Georges. Claude en était heureux également, mais ne s’y fiait qu’à demi.
Il s’y fia encore moins lorsque, le lendemain, les Cordeliers à leur tour donnèrent l’absolution à leur ancien président. Danton, sentant sa position consolidée, n’allait-il pas tenter quelque manœuvre ?
Tout parut cependant devoir marcher pour le mieux. Hébert, maté, n’en menant pas large devant la coalition des Robespierristes et des Dantonistes, inquiet d’avoir assisté-dans son propre club à la réhabilitation de Danton par les vieux Cordeliers, remplissait Le Père Duchesne de sombres prophéties, mais au fond se tenait à peu près tranquille. Claude avait d’autres soucis. À la section militaire du Comité,
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