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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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remplissaient le palais – la Maison nationale – d’une rumeur de mer. À la vérité, beaucoup d’entre eux n’étaient là que pour profiter de la chaleur dispensée par les grands poêles d’angle, en faïence. Ils désertaient leurs logis sans feu, sans chandelle, pour passer leurs journées ici où l’on était chauffé gratis, éclairé dès quatre heures par les énormes lustres de la défunte monarchie.
    La forte silhouette de Danton, sa grosse tête rougeaude et grêlée, sa chevelure blonde quelque peu en désordre, ses yeux bleu vif, ne passèrent pas inaperçus parmi les conventionnels, les clubistes, certains municipaux, qui venaient comme lui-même prendre le vent du jour dans les galeries, les bureaux, les antichambres des Comités. Dans la salle de la Liberté, Hébert, avec son front fuyant, ses gants et son habit gris fer qui ne ressemblait en rien au débraillé du Père Duchesne, fouinait parmi les groupes. Danton alla des uns aux autres, bonhomme. Eh oui, il revenait guéri, mais non sans peine. Et qu’avait-on fait pendant son absence ? Prudemment jovial avec ceux-ci, familier ou grave avec ceux-là, il flairait l’opinion, et il la trouvait singulièrement réticente à son égard. Très vite, il comprit que dans sa grande majorité la Convention était lasse des excès. Le désir de voir le régime trouver son équilibre entre la réaction et l’exagération faisait la force de Robespierre établi en champion de la mesure. On en avait assez du sang, de la peur, de la corruption. Le goût de l’ordre et la vertu l’emportaient. La Révolution voulait se stabiliser. C’était le moment d’« accrocher son char ». Et pour cela, il fallait changer de politique.
    Ce jour-là et les jours suivants, Claude ne fut pas surpris d’entendre Danton, à la Convention, aux Jacobins, blâmer le fanatisme antireligieux : c’était naturel à tout esprit raisonnable. Il le fut davantage de voir en même temps Danton prendre parti, avec bonhomie mais fermement, contre tous les excès des Hébertistes : ces excès auxquels il avait lui-même sournoisement poussé.
    « Je ne te reconnais plus, Georges, lui dit-il. Arcis, le clocher de Saint-Etienne, l’Aube cascadant sous les moulins t’ont-ils donc tant changé !
    — Ma parole ! d’où te vient cette science ?
    — Ah ! voilà ! Ces mots, tu les as prononcés quand tu es parti là-bas, avant le 10 août. Ne t’en souvient-il plus ?
    — Quelle mémoire ! Non, Arcis ne m’a point changé, il m’a rendu à moi-même, mon ami. Je ne suis qu’un paisible bourgeois, tu sais bien.
    — Bourgeois, pour ça oui. Paisible, c’est une autre affaire ! » C’est en effet la guerre qu’il voulait : la guerre contre le régime révolutionnaire dont il méditait la ruine. Il était temps d’en finir avec « la sale démocratie », comme il disait, dans les derniers jours de 92, à Théodore de Lameth. On allait semer la division dans le gouvernement, en attirant Robespierre et tous les commissaires non hébertistes. Après quoi, les Comités frappés ainsi d’impuissance, on provoquerait leur renouvellement, au besoin par une « journée ». Une fois au pouvoir, il s’agirait de gouverner résolument à droite, de négocier la paix avec l’Europe. Il faudrait ouvrir les prisons, rendre sa prépondérance à la grande bourgeoisie, seule capable d’assurer la prospérité d’un État, rappeler les émigrés et liquider la Révolution en transigeant avec ses différents ennemis. Il s’était confié à son ami, l’ancien ministre Garat. Quoique celui-ci restât très sceptique sur le succès d’une pareille tentative, Danton s’y lança en continuant la politique entamée par Thuriot, Fabre d’Églantine, Chabot, Bazire.
    Menacés par les Robespierristes, abandonnés par Danton, Hébert et Chaumette sentirent passer le vent du couteau. « Il faut laisser la superstition mourir de sa belle mort », écrivit le premier dans son Père Duchesne. « Bornez-vous à couper les vivres aux calotins, et chantez du soir au matin des hymnes à la Raison. » Il alla plus loin encore dans la palinodie, en déclarant, au club de la rue Honoré : « On a dit que les Parisiens étaient sans foi, sans religion, qu’ils avaient substitué Marat à Jésus. Déjouons ces calomnies ! » Quant à Chaumette, il s’écria, au Conseil général de la Commune, en conclusion d’un long discours plutôt embarrassé : « Ne

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