Une histoire du Canada
revient de prendre des mesures, ou de ne pas en prendre, selon leur gré. L’Ontario va de l’avant en 1884 : il engage un seul inspecteur chargé de patrouiller toutes les industries de la province. selon la loi ontarienne, il est interdit d’engager des garçons de moins de douze ans et des filles de moins de quatorze. Une fois qu’ils font partie de la main-d’œuvre, ils peuvent travailler soixante heures par semaine ou dix heures par jour, bien qu’ils puissent aussi travailler jusqu’à six semaines à raison de douze heures par jour. La situation finira par évoluer, mais c’est ce genre d’exemple qui confère au Canada sa réputation de pays très conservateur, voire totalement rétrograde, sur les plans social et économique.
au Canada, les syndicats locaux, nationaux et internationaux ont une tâche ardue. ils ont le droit de s’organiser, de recueillir des cotisations et de faire la grève mais les employeurs peuvent réagir en embauchant des remplaçants. il en résulte souvent des émeutes, ce qui donne de l’emploi à la milice locale. Quant à savoir si la milice donne satisfaction à ceux qui ont fait appel à elle, c’est une autre question : « [ils] n’ont pas tiré sur les grévistes ni ne les ont chargés à la baïonnette, se plaît à souligner un journal syndical. Ce sont eux-mêmes des membres de la classe ouvrière17 ».
La centrale ouvrière n’en est pas moins divisée, sinon fragmentée.
Les « membres de la classe ouvrière » s’identifient à leur travail, ce qui ne peut qu’entraîner un certain sentiment de solidarité de classe. Mais ils ont aussi leurs loyautés religieuse, culturelle et régionale. L’intérêt personnel ne se confond pas nécessairement, ni même souvent, avec une politique de gauche ou de classe ouvrière, ni ne se traduit en une culture de classe ouvrière distincte de la culture bourgeoise qui l’entoure18. Même un syndicat nombreux et parfois militant comme les Chevaliers du travail s’organise en ayant recours à une symbolique, à des cérémonies et rituels semblables à ceux de sociétés « secrètes » contemporaines comme les francs-maçons. On ne peut guère y voir un accident puisque les liens fraternels, les « frères et sœurs » du mouvement ouvrier, sont au cœur de la solidarité syndicale.
vu à la lumière de la culture générale de l’époque, ce genre de solidarité n’est ni étrange ni inquiétant. Les ouvriers ne sont pas isolés du monde qui les entoure. Cela peut vouloir dire, et cela veut dire en réalité, que les ouvriers entendent souvent les politiciens conservateurs leur promettre la « protection », soit un tarif si élevé qu’il empêche toute concurrence en provenance de zones de compétence pratiquant des salaires ou des prix inférieurs. aussi fréquemment qu’ils prêtent l’oreille aux appels de leurs frères en religion, souvent relevés de menaces de vengeance céleste s’ils ne votent pas pour le parti qui a les faveurs de leur groupe aux élections.
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Mais, toutes choses étant par ailleurs égales, c’est la question des tarifs plus que toute autre politique gouvernementale, mélangée à d’autres formes de dévotion (ethnique, linguistique et religieuse), qui détermine la tendance du scrutin en 1896, ce qui donne un électorat déterminé à soutenir les partis politiques nationaux. Les tarifs sont, par définition, des subventions, un transfert d’argent des consommateurs aux industries protégées, mais leur attrait particulier pour les politiciens réside (et c’est encore le cas de nos jours) dans le fait que la plupart des consommateurs-
électeurs ne s’en rendent pas compte.
Les tarifs représentent la grande question théologique de la politique au dix-neuvième siècle et ce, pas seulement au Canada. Bien que le débat sur le libre-échange et la protection s’apaise en Grande-Bretagne pendant la plus grande partie du dix-neuvième siècle, il demeure, en toile de fond, un des grands tabous de la politique britannique. aux états-Unis, les tarifs continuent de soulever les passions, surtout parmi les agriculteurs, qui bénéficient peu des prix élevés de la machinerie agricole ou des textiles.
Le miracle réside dans le fait que, dans un pays principalement agricole, les tarifs puissent bénéficier d’appuis tellement forts qu’ils sont pratiquement intouchables.
Les gouvernements canadiens préféreraient en revenir à des tarifs
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