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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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quant à
l’issue probable du procès.
    « Je n’ai aucune idée de ce que fera le jury,
déclara-t-elle, en réduisant des pommes de terre en purée. Les hommes sont
tellement bizarres. »
    Des journalistes qui avaient assisté avec émotion au
témoignage de Lorraine éprouvèrent le besoin d’exciter et d’asticoter Ruth en
évoquant la détresse qui devait être la sienne, privée de sa fille en cette
occasion solennelle. Ruth mentionna qu’elle avait déjeuné de poulet rôti et de
spaghettis de chez Roberto Minotti’s, un restaurant italien du voisinage. Elle
se refusa à divulguer qui avait payé et s’épancha par ailleurs assez peu, se
bornant à rester sur son lit et à sourire affectueusement quand elle avisait sa
souris de compagnie vadrouillant de-ci de-là. Toutefois, elle finit par
s’approcher des barreaux de la cellule pour lire le télégramme qu’elle allait
adresser à Mrs Brown.
    « “Joyeuse fête des Mères, déclama-t-elle. J’ai bien de
la chance et je tiens à ce que tu saches à quel point je suis reconnaissante de
tout ce que tu as fait pour moi. Grosses bises et embrasse Lorraine de ma part.
Ruth.”
    — Autre chose ? se renseigna un journaliste.
    — Oui. Dites à mes geôliers de faire venir Kitty Kaufman
pour une mise en plis. Et j’aimerais aussi une manucure. »
    Judd n’était qu’à un étage de là. Comme Ruth, il demeura
allongé. Lorsqu’on lui demanda s’il avait envoyé une carte ou un cadeau à
Isabel, il répondit :
    « C’est mon épouse, pas ma mère.
    — Donc, non ?
    — Donc, non.
    — Et à Mrs Margaret Gray, alors ?
    — Je ne répéterai pas ce que je lui ai écrit, mais je
lui ai fait parvenir un ouvrage édifiant : When the Days Seem Dark [6] de Philip E. Howard. Je l’ai trouvé… revigorant.
    — Songez-vous au verdict ? lui lança un reporter.
    — Eh bien, je ne m’attends pas à la clémence.
    — Vous pensez que ça va être la chaise électrique, pour
vous ? »
    Judd haussa les épaules.
    « Je n’ai plus peur de la mort, à présent. Depuis que
j’ai confessé à la barre mon histoire au monde entier, j’ai trouvé une paix
profonde. »
    Mais son sourire ressemblait plus à une grimace.
     
    Le 9 mai, par une étouffante journée, la dix-septième
du procès, William J. Millard, le second avocat de Judd, gratifia le jury
d’une plaidoirie finale éculée. Mélancolique et dolent, les mains jointes à
hauteur de menton dans l’attitude de la prière, Millard considéra avec
bienveillance Judd, le public et le banc des jurés. Puis il entreprit gravement
de relater la tragédie qui s’était abattue sur son « ami », louant
d’abord la biographie de Judd, sa vie heureuse, sa réputation sans tache et la
« chaleur de son foyer, dont la flamme était continuellement alimentée
avec amour et dévotion ». Puis « soudain, au mois de juin 1925, une
femme funeste et fascinante croise son chemin. Oh, messieurs, quelle
catastrophe ! » Avec des airs de vieillard, Millard tendit le bras et
agita un doigt en direction de Ruth.
    « Cette femme, cette singulière créature pareille à un
serpent venimeux, a attiré Judd Gray dans ses anneaux luisants et, dès lors, il
n’a plus pu s’en échapper. Car, messieurs, il est ici question d’une séduction
perverse et envoûtante. Cette femme est anormale. À l’image d’un objet en acier
attiré par un puissant aimant qui le retient, Judd Gray a été soumis à
l’impérieux magnétisme de cette femme et il lui est devenu impossible de se
détacher d’elle. Car cette femme, ce singulier spécimen humain venimeux, était
possédée par un appétit sexuel dévorant, débordant, un désir animal vorace
apparemment insatiable. »
    Les yeux clos, la joue calée dans la main droite, Ruth fit
mine de somnoler pendant l’homélie de Millard.
    « Elle a peu à peu dressé sa victime, poursuivit
l’avocat. Elle a mis à profit chaque occasion de satisfaire ses désirs pour le
prendre dans ses rets. Et quand, après des mois et des mois de gâteries, elle
l’a eu asservi, à sa merci, rien qu’à elle, elle a été en mesure d’agir par son
intermédiaire, de le manipuler comme un pantin humain. Judd faisait ses quatre
volontés. »
    Elle avait intimidé le facteur ; elle avait dupé
l’agent d’assurance ; elle avait réduit Judd en esclavage. Tout cela avait
déjà été mis en avant à plusieurs reprises ; la seule adjonction de
Millard fut de

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