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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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de dinde.
    Et, patiente, elle orienta ensuite la conversation vers un
terrain plus salubre, comme si le cas de conscience de Judd était insignifiant.
    « Elle me connaît si bien », songea-t-il.
     
    Dans un premier temps, il affecta de cogiter pour se
distraire durant ses nuits d’insomnie. Faisant abstraction de leurs visées meurtrières,
Judd se concentra sur la façon de rejoindre la maison et d’en repartir, ou sur
le moyen de se forger un alibi, plutôt que sur l’accomplissement de l’acte
lui-même. L’acte – c’était là le terme qu’il employait, comme pour le
sexe. Et ses rêveries étaient tout aussi érotiques.
    Tout semblait nourrir leur plan. Ruth et Judd virent au
cinéma La Chair et le Diable, film dans lequel John Gilbert interprète
un officier militaire amant de Greta Garbo, qui tue le mari de celle-ci lors
d’un duel pour l’honneur de la vamp. Au théâtre, ils virent Alan Dinehart jouer
Claiborne Foster dans Sinner (« Pécheur », le qualificatif que
s’appliquait Judd) et, juste avant que le spectacle fut interdit pour son
indécence et son obscénité, ils virent Mae West dans Sex, la farce la
plus leste de Broadway. Une tragédie américaine, le roman controversé de
Theodore Dreiser, venait d’être adapté à la scène et Judd emmena Ruth à une
représentation triomphale au Longacre, dans la 40 e  Rue
Ouest ; après quoi, au Ritz, ils disséquèrent le meurtre de Roberta, la
mère de l’enfant à naître de Clyde. D’après Ruth, ce dernier avait laissé trop
de place au hasard ; tant qu’à faire, il aurait dû méthodiquement se
préparer, au lieu de s’en remettre à son instinct.
    « La frapper avec un appareil photo, puis la laisser se
noyer ? Quel corniaud ! Ce n’est pas un meurtre, c’est un coup de
dés ! »
    Comme un monte-en-l’air s’introduisait dans les maisons du
Queens par les fenêtres au premier étage, Albert s’était acheté un revolver de
calibre .32. Ruth prétendit que, lorsqu’elle le contrariait, il lui
agitait l’arme sous le nez et lui avait un jour crié : « Je peux te
faire sauter la cervelle quand ça me plaît ! »
    Judd n’envisageait nullement que Ruth pût mentir pour le
pousser à agir. Il redoutait plutôt d’apprendre son décès la prochaine fois
qu’il téléphonerait.
    On avait diagnostiqué à Lorraine un « œil
paresseux » et Ruth la conduisait à New York un samedi sur deux pour des
examens et des exercices. Judd, qui les retrouvait au Henry’s, avait toujours
une pièce et des bonbons pour Lorraine et Ruth entraîna sa fille à glisser sa
main dans celle de Judd et à lui faire de grandes déclarations d’affection. Un
jour, Lorraine lui demanda même en souriant :
    « Vous êtes sûr que vous n’êtes pas mon
père ? »
    Et Judd pensa : « C’en est à ce point… »
    « Parle-lui de ce matin », la relança Ruth.
    Lorraine demeura perplexe. Elle inclina la tête de côté.
    « Quoi ?
    — Papa t’a pris ton muffin et…
    — Ah oui ! Il a raclé une partie du beurre de
cacahuètes. Parce que je gaspillais, il a dit.
    — Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? »
insista Ruth.
    La fillette sourit.
    « J’ai pleuré et j’ai protesté que je voulais plus de
beurre de cacahuètes.
    — Il s’est fâché… poursuivit Ruth.
    — Oui, il s’est fâché et il m’a giflée. Je me suis
cachée derrière la chaise de la salle à manger, parce que j’avais peur de lui,
mais maman lui a tenu tête et elle a crié. »
    Elle sembla avoir du mal à se remémorer sa matinée, puis
récita :
    « Alors papa a couru à l’étage et il est redescendu
quelques minutes plus tard avec un pistolet à la main en hurlant : “Je
vais vous tuer toutes les deux !” Avec des gros mots. Et il a enfoncé le
pistolet dans le ventre de maman. »
    Judd caressa la tête de l’adorable petite.
    « Oh, ma chérie, je suis navré », s’émut-il.
    Et il fut accablé à la pensée que Lorraine serait tout aussi
terriblement affectée s’il cédait aux instances de Ruth. Mais cette dernière
lui adressa un clin d’œil.
    « Tout est bien qui finit bien », conclut-elle.
    La veille de Noël 1926, ils se retrouvèrent tous trois au
Waldorf-Astoria pour échanger des cadeaux et Judd ébahit Lorraine avec des
sous-vêtements pour enfant en soie rose, très adultes, qui enchantèrent la
fillette. Ruth fut aussi aux anges quand Judd lui fit présent d’un sac à main
bleu orné de

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