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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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bijoux, qui lui plut tant qu’elle l’arborerait au tribunal quatre
mois plus tard. Lorraine offrit à Judd une cravate en soie comme il les aimait,
et Ruth un nécessaire de toilette en argent étincelant, pour ses déplacements.
À côté de la brosse à cheveux, il découvrit un chèque de deux cents dollars,
soit deux semaines de salaire, à tirer sur le compte de Mr &
Mrs A. E. Snyder. Comme Lorraine était là, Ruth put seulement
chuchoter :
    « Tu as été si généreux envers nous. Nous ne voudrions
pas que tu te retrouves endetté jusqu’au cou.
    — Mais comment peux-tu te le permettre ?
    — J’ai de grandes espérances », exposa-t-elle,
avec un sérieux digne d’un notaire.
    Judd l’encaissa et ce fut ce chèque oblitéré présentant sa
signature qui, le 20 mars, retiendrait l’attention des enquêteurs.
     
    En janvier 1927, à Buffalo, Judd rêva qu’Albert, sans
visage, écumant de rage, se dirigeait vers lui dans un couloir. Près de Judd,
Ruth et Lorraine, Isabel et Jane étaient tapies derrière un rideau ; Judd
narguait Albert pour l’attirer vers lui dans l’espoir que, sous l’emprise de la
fureur, il dépassât mères et filles, mais l’étoffe ondulait, s’enroulait,
révélait les cuisses et les mollets ravissants de Ruth, et finalement Albert se
retourna, vengeur, levant une hache. Judd se réveilla en hurlant.
    Mais ce cauchemar n’était pas la seule chose qui
l’effrayait. Albert représentait tout ce qui n’allait pas dans la vie de
Judd : son laisser-aller dans son travail, ses inquiétudes quant à sa
situation domestique, sa condition physique défaillante et son abus d’alcool
sans cesse croissant, qui lui ruinait la santé et hypothéquait son avenir. Judd
ne s’endormait pas, il perdait connaissance ; il ne s’éveillait pas, il
revenait à lui. Même son excellente mémoire, dont il était jadis si fier, le
trahissait, si bien qu’il en était réduit à noter tout ce qu’il faisait ou ce
qu’il avait à faire.
    La santé d’Albert aussi semblait de plus en plus précaire.
En janvier, Ruth écrivit à Judd que Son Excellence avait un hoquet dont il n’arrivait
pas à se débarrasser et Judd répondit dans une lettre qu’une cliente de Geneva,
dans le nord de l’État, recommandait le jus de pamplemousse. Ruth additionna le
remède de chlorure de mercure, mais au lieu de mourir, Albert vomit toute la
journée et guérit. Avec un mélange de déconvenue et d’admiration renouvelée,
Ruth assura à son amant qu’elle n’avait jamais vu quelqu’un d’aussi moribond
s’en sortir aussi bien.
    Judd lui opposa pompeusement que son attitude était
monstrueuse. Mais lorsqu’ils dînèrent au Zari’s, le week-end suivant, il lui
déclara sur le ton de la confidence :
    « C’est un vrai mystère pour moi. Si tu m’avais dit que
tu voulais tuer un chien ou un chat, j’aurais rompu avec toi. Et pourtant,
j’avoue une excitation que je ne comprends pas. Je suis transporté par ton
intrépidité. Ton jusqu’au-boutisme. » Judd dévissa le bouchon en argent de
sa flasque, remplit son verre de tord-boyaux aromatisé au genièvre et en siffla
la moitié.
    « Je suis habité par deux êtres différents, Ruth. L’un
s’efforce d’avoir une vie normale, mais il en est complètement incapable,
tandis que l’autre aspire au bizarre, à l’interdit et exerce un ascendant
grandissant sur moi. Je suis une épave. Je cherche ma veste partout, puis je
m’aperçois que je l’ai sur le dos. J’ouvre les robinets de la baignoire, puis
j’oublie et j’inonde par terre. J’ai l’impression d’être dans le coma. Hier,
Isabel et Jane sont venues m’accueillir à la gare et j’étais tellement dans le
brouillard que je suis passé à côté d’elles sans les reconnaître. »
    Ruth s’esclaffa.
    « Mais ce n’est pas drôle du tout pour moi, Ruth !
Nous nous connaissons depuis un an et demi seulement et, sous tous rapports, je
suis pris dans ce que les pilotes de biplans appellent une “vrille mortelle”.
Mais pour rien au monde je ne souhaiterais en sortir. Tu es une énorme
aberration…
    — Merci bien.
    — Oh, je ne l’entendais pas ainsi, ma chérie. Je veux
dire que tu es l’objet de tout ce que je fais. L’origine de tout ce que je
suis. Est-ce que je fais sens ? »
    Ruth prit les mains de Judd dans les siennes.
    « Seulement si tu l’entendais comme un compliment.
    — Honnêtement, ce n’est pas de la flatterie.

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