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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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qu’elle est moche !
    — Fais donc quelques levées, tu verras », répliqua
Albert, le fusillant du regard par-dessus son verre.
    Les radiateurs surchauffaient la maison et, vers onze
heures, avec l’aide de George, Milton récupéra les vestes de ces messieurs pour
les suspendre.
    Albert sourit et, se tapotant la cuisse d’un air engageant,
appela son épouse en allemand :
    «  Na Kleiner, komm doch mal rüber. »
    Soit : « Allez, ma petite, viens par ici. »
Ruth comprit vaguement le sens de la phrase, mais sans se douter que c’était
ainsi qu’on apostrophait les prostituées dans la rue en Allemagne.
    Elle rejoignit la table pliante et s’assit en minaudant sur
les genoux d’Albert, puis le serra dans ses bras.
    « Comment est-ce que ça se passe, mon
chéri ? » se renseigna-t-elle.
    Albert vida son verre.
    « Je perds.
    — Regardez-moi ces deux tourtereaux ! »
s’exclama Serena.
    Ruth embrassa Albert sur le front.
    « C’est tellement vrai. Son irritabilité n’est qu’un
numéro. Albert est doux comme un agneau.
    — Mais de qui cause-t-elle ? plaisanta le
Dr Stanford, déclenchant l’hilarité générale.
    — On joue au bridge, ou pas ? rouspéta Albert.
    — D’accord, d’accord, opina George Hough, en se
rasseyant. Ne vous rongez pas le foie.
    — Le foie ? Mon foie va très bien. Tu te prends
pour un mariole, George ?
    — Oh, calme-toi », le sermonna Ruth, avant de
regagner la salle à manger.
    Albert remplit son verre, confondit les trèfles et les
piques au tour suivant, puis oublia ce qu’il était advenu de sa veste.
    « Je l’ai suspendue, lui rappela George.
    — Ah ? Eh bien, c’est ce qu’on va voir », lui
opposa Albert.
    Il se dirigea vers la penderie de l’entrée en titubant.
    « Albert Snyder ! » l’apostropha Ruth.
    Mais Albert était déjà en train de fourrager au milieu des
manteaux, les écartant sans ménagement. Il fouilla les poches de sa veste et
tonitrua :
    « Où est mon portefeuille ?
    — Regarde par terre », préconisa Milton.
    Albert se pencha à l’intérieur de la penderie.
    « Il n’est pas là ! Qui m’a volé mon
portefeuille ? »
    Milton se leva.
    « Je suis certain que nous allons le retrouver quelque
part.
    — Il y avait soixante-quinze dollars dedans ! Et
il a disparu ! C’est ça, tes amis, Milt ?
    — Hé, doucement ! » protesta Cecil Hough.
    Son frère se leva.
    « C’est de moi que vous causez ?
    — Je ne sais pas, vociféra Albert. Tu es un
voleur ? »
    Ruth baissa la tête vers la table de la salle à manger et
répéta avec exaspération :
    « Albert Snyder !
    — C’est la bagarre que vous voulez ? lança George.
Parce que je suis partant ! »
    Albert retira ses boutons de manchettes avec un sourire.
    « Toi, mon gaillard, tu as tiré le mauvais
numéro. »
    Mais Milton Fidgeon intervint, Serena mit un disque de
succès de Paul Whiteman et, moins d’une heure plus tard, Albert riait à nouveau
de bon cœur aux plaisanteries du Dr Stanford.
     
    Alors qu’il marchait jusqu’à la gare après son dernier
rendez-vous à Albany, Judd avisa son reflet lugubre et défait dans la vitrine
d’un apothicaire à l’ancienne. « Ça se lit sur ton visage, songea-t-il.
Tout ça est en train de te détruire. » Et pourtant, il entra et acheta un
flacon de vingt-cinq centilitres de chloroforme pur importé d’Écosse, ainsi
qu’une paire de gants de chimiste en caoutchouc vert pour masquer ses
empreintes digitales.
    Et lorsqu’il arriva à l’hôtel Stuyvesant, à Kingston, le
3 mars, on lui remit une courte lettre de Ruth qui commençait ainsi :
« Mon mignon à moi, mince, ce que je suis heureuse. Je ne te dis
pas ! Je suis tellement heureuse, mon cher, que je tiens à peine en place
pour t’écrire ce que je pense. » Elle racontait qu’elle avait vu le film Johnny
Get Your Hair Cut et trouvé que Jackie Coogan était « un chouette
gosse et un merveilleux acteur ». Elle poursuivait : « Je
n’arrête pas de penser au meilleur moyen de s’occuper d’A. – et à toi,
bougre d’adorable petit gredin. Je pourrais te manger tout cru. » Et elle
terminait : « Dépêche-toi de rentrer, mon chéri. Je t’attendrai. Je
t’embrasse, Ta môme. » Judd étudia la lettre, puis la jeta dans la
cheminée et contempla le papier qui brunissait, se gondolait et se convulsait
dans les flammes.
    Une fois dans sa chambre, il sollicita une

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