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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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chemise de nuit en flanelle, trop injustement fort pour qu’elle
pût seule se charger de lui. Elle détestait ses gargouillis chuintants quand il
inspirait et expirait, elle détestait sa mauvaise haleine, elle détestait sa
voix rauque quand il lui criait de lui apporter ou lui cuisiner quelque chose.
    Elle éprouva une crampe menstruelle et se rendit à la salle
de bains. Mais ses règles s’achevaient. Elle découvrit tout juste une goutte de
sang sur la serviette hygiénique, ce qu’elle prit comme un signe confirmant
qu’elle serait sous peu débarrassée d’Albert. Elle réveilla Lorraine pour lui
annoncer qu’elles se rendraient à Manhattan afin d’acheter des vêtements pour
Pâques, puis se hâta de partir chez Kitty Kaufman afin de se faire décolorer
les cheveux du même blond que Mae West.
     
    Judd se réveilla à huit heures, à Syracuse, et prit un bain
brûlant au sel d’Epsom. Il trempa jusqu’à ce qu’il eût les doigts plissés et se
rasa avec une lame de rasoir neuve. Il allait devoir conserver les mêmes
vêtements un jour et une nuit entière, aussi choisit-il des sous-vêtements
lavés de frais, une paire neuve de chaussettes noires qui lui montaient
jusqu’au genou, une chemise blanche amidonnée, un costume trois-pièces en laine
grise filetée de bleu, et une cravate bleu marine à motifs géométriques.
Lorsqu’il laça ses chaussures, il se surprit à penser : « Le tueur
portait des richelieus noirs haut de gamme. »
    Cherchant méticuleusement à laisser des traces de sa
présence à Syracuse, Judd descendit à la buvette en sous-sol de l’hôtel
Onondaga et commanda des gaufres accompagnées de crème fouettée et de cerises
pour le petit déjeuner.
    « Après tout, on est samedi », lança-t-il à la
serveuse.
    Elle le dévisagea bizarrement. Avait-il parlé trop
fort ? Chaque phrase, chaque geste, chaque coup d’œil avait quelque chose
de grisant. Il apposa une signature tarabiscotée au bas de la note et laissa
vingt-cinq cents de pourboire.
     
    Kitty versa avec le plus grand sérieux un filet de peroxyde
d’hydrogène dans une casserole de chlorure de chaux et remua jusqu’à ce qu’elle
aboutît à une mixture parfaite. Ruth s’enroula une vieille serviette autour du
cou et se pencha au-dessus de l’évier de la cuisine, pendant que Kitty enfilait
des gants en caoutchouc de chimiste, avant d’appliquer au pinceau le mélange
nauséabond.
    « C’est pour une occasion particulière ? » se
renseigna-t-elle.
    Ruth se dit que, sous peu, son portrait sur le vif, en veuve
endeuillée, serait reproduit dans tous les journaux, mais elle répondit plutôt
qu’ils étaient invités chez les Fidgeon pour jouer au bridge ce soir-là.
    « Oh. Eux, commenta Kitty.
    — Albert a tendance à chercher des amis qui boivent
comme lui.
    — Il n’y a qu’à se baisser pour ça. Depuis la
Prohibition, ça pullule. »
    Et Ruth pensa : « Judd. »
    Kitty badigeonna la chevelure mouillée de Ruth vers l’avant,
puis l’arrière, et tendit à son amie un bonnet de bain.
    « Ce truc est toxique et dangereux, il ne faut pas le
laisser trop longtemps sur la peau. »
    Elle consulta l’horloge au mur et mémorisa l’heure, tandis que
Ruth enfilait le bonnet et ajustait en dessous ses mèches en train de cuire.
    Kitty ôta ses gants avec un claquement et elles s’assirent à
la table de la cuisine devant une tasse de café. Kitty déplia le New York
Daily Mirror et le feuilleta jusqu’à l’une des pages du milieu.
    « Tu as lu Betty Clift aujourd’hui ? »
    Ruth lui signifia que non de la tête, Kitty parcourut la
chronique, puis revint un peu en arrière et lut à voix haute :
    « “Oyez donc ce conseil, messieurs : il est inné
chez la femme de convoiter vos louanges, vos assiduités, vos attentions. Si
vous les lui refusez, c’est pour elle une véritable privation. Quand elle a du
caractère, bon an mal an, elle fait sans. Mais quand elle est de moindre
trempe, c’est un coup à perdre sa bonne amie, voire son épouse, du jour au
lendemain, parce que vous aurez été supplanté par un autre adorateur plus
habile.” »
    Ruth sourit.
    « Quand elle parle de “moindre trempe”, elle veut dire
blonde décolorée, c’est ça ?
    — Ouaip’, Betty t’a bien cernée. »
    Elle but une gorgée, puis eut un sourire malicieux.
    « En parlant d’adorateurs, comment va
Judd ? »
    Ruth espérait justement que Kitty ferait allusion à

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