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Une irrépressible et coupable passion

Une irrépressible et coupable passion

Titel: Une irrépressible et coupable passion Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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soir-là, le 7 mars donc, Judd remonta Jamaica Avenue
en bus jusqu’à la 222 e  Rue et prit vaillamment la direction du
nord, dans l’intention d’en finir. S’il apercevait une lampe allumée à la
fenêtre de Josephine, Ruth lui avait donné pour instruction de contourner la
maison jusqu’au porche de la cuisine, où elle le retrouverait. Mais Judd ne vit
pas de lumière et il ne se souvenait d’aucune solution de repli. Il but
quelques gorgées de sa flasque et se contenta d’observer la maison pendant un
moment.
    Plié en deux, il s’avança pour jeter un coup d’œil par un
vasistas du sous-sol et épia Albert, qui remplissait d’eau un fût de cent
quatre-vingt-dix litres avec un tuyau d’arrosage, puis apportait son moteur
hors-bord Johnson jusqu’au milieu de son atelier immaculé. Il fit tourner
l’hélice, parut discerner d’infimes problèmes, caressa de la main la dérive,
puis souleva le moteur et le plongea dans l’eau, avant de serrer l’étrier de
fixation sur le bord du fût. Albert éprouva la barre, dévissa le bouchon du
réservoir et regarda à l’intérieur, puis remplaça une vieille bougie par une
neuve. Il tira la corde du démarreur et le moteur s’anima du premier coup,
boursouflant la surface de remous et recrachant des bouffées de fumée dans
l’atelier jusqu’à ce qu’Albert refermât l’arrivée d’air. Chacun de ses gestes
était assuré, efficace, machinal. Et pas un seul instant il ne se départit de
son sourire, parfaitement serein, tout à sa tâche. Un homme pareil pouvait
s’occuper des heures de la sorte, avant de consulter sa montre, candidement
surpris qu’il fût minuit, et de remonter l’escalier d’un pas fatigué, mais
heureux.
    Judd fit le tour du pâté de maisons, rassemblant son
courage, démangé par sa conscience. Il avait connu les heurts propres au sport,
jusqu’à une blessure à l’œil droit consécutive à une poignée de sable qu’un ami
lui avait jetée au visage à la plage et qui avait manqué de l’aveugler. Mais il
ne se rappelait pas avoir depuis subi le moindre préjudice de la part de
quiconque, et encore moins avoir lui-même ressenti une agressivité fanatique à
l’encontre d’un contemporain. Le Henry Judd Gray qu’il espérait incarner aux
yeux de tous était affable et attachant ; il ignorait les affronts, pardonnait
les torts, cherchait toujours à faire de l’inconnu un ami ; et il estima
que Ruth l’avait méjugé si elle se figurait qu’il était du genre à recourir à
la violence aveugle, voire à tuer.
    Judd ne compta pas combien de fois il fit le tour du pâté de
maisons, mais d’autres si, et une voisine téléphona à la police pour l’informer
qu’un cambrioleur ou un voyeur rôdait dans les parages et qu’il en était à son
troisième passage devant chez elle. Mais avant qu’une voiture de patrouille pût
arriver sur place, Judd parvint finalement à la conclusion qu’il ne pouvait pas
s’exécuter et, lorsqu’il longea le 9327 pour la quatrième fois, vers onze
heures, il entendit toquer à la fenêtre de la cuisine des Snyder.
    Quand il la rejoignit, Ruth se tenait sous le porche, un
plein verre de whisky à la main. Judd le prit et Ruth s’enquit, avec
irritation :
    « Alors, tu vas le faire ou pas ?
    — Je risque de rater mon train pour le New
Jersey », allégua Judd.
    Elle le foudroya du regard pendant trente bonnes secondes.
Puis elle se radoucit.
    « Je mets tout de côté ? proposa-t-elle.
    — Non. Seulement le contrepoids. Cache-le.
    — Et ensuite ? »
    Judd haussa les épaules.
    « Je suis en tournée dans le nord de l’État pendant les
deux semaines à venir. »
    Ruth fronça les sourcils, mais perçut du bruit au sous-sol
et se dépêcha de rentrer. Judd battit en retraite dans l’ombre du garage, le
temps qu’elle revînt avec les affaires dans un sac de courses.
    « Vas-tu un jour te décider à agir ? »
lança-t-elle, acerbe.
    Elle referma la porte de la cuisine avant qu’il pût
répondre.

 
Chapitre 6
LE MEURTRE D’ALBERT EDWARD SNYDER
    Lorsqu’elle s’éveilla le 19 mars, juste avant le lever
du soleil, son regard se posa, par la fenêtre, sur le halo jaune du lampadaire
à arc de l’autre côté de la rue. L’espace d’un instant, la lumière agonisa sous
ses yeux, puis s’éteignit. Ruth roula vers la droite en douceur et regarda
par-delà le gouffre encore trop étroit entre les lits. Albert dormait sur le
flanc, dans sa

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