Une irrépressible et coupable passion
de Roxie Hart
et affirmait dans la pièce : « Je suis si gentille que je ne pourrais
pas tuer une mouche. » Lors d’une interview avant le procès, Ruth avait
d’ailleurs désarçonné les reporters en recourant à la variante :
« Tuer mon mari ? Allons, je ne ferais pas de mal à une
mouche. »
La célèbre et maintes fois mariée Peggy Hopkins Joyce
écrivait des rosseries sur Ruth et Judd pour le New York Daily Mirror, tout
comme Samuel Shipman, dont la pièce Crime était encore à l’affiche et
qui apparut au tribunal en compagnie de son actrice principale, Sylvia Sydney.
Le magicien Howard Thurston était un assidu, tout comme le scénariste et
romancier Ben Hecht, surnommé « le Shakespeare d’Hollywood ».
L’actrice Olga Petrova posa généreusement pour une cohorte de photographes
devant la Rolls Royce qui venait de la déposer. Evelyn Law, des Ziegfeld
Follies, discerna en ce procès une excellente occasion de se faire remarquer, à
l’instar d’un nombre si grand de gens de théâtre que le coin dans lequel ils
s’asseyaient avait été baptisé « la section syndicale des acteurs ».
On vit aussi, affublé d’une cravate bizarre rappelant celle
du personnage de bande dessinée Buster Brown, John Roach Straton, pasteur de
l’église baptiste du Calvaire et premier apôtre de l’Apocalypse à diffuser ses
sermons dominicaux à la TSF, qui lors des présidentielles devait faire campagne
contre le catholique Al Smith, « candidat de l’alcoolisme, du papisme et
de l’incivisme ». Le prédicateur Billy Sunday vint jeter un coup d’œil
sceptique aux débats le premier jour, tandis que, tous les soirs, dans sa
chronique pour l’ Evening Graphic, l’évangéliste Aimée Semple McPherson
vilipendait l’« amour charnel », le « démon de l’alcool »,
les « beautés torrides » et les multiples vices et péchés qu’exposait
ce procès.
C’était la mi-avril et il commençait à faire chaud dans
cette salle du deuxième étage, mais les plus m’as-tu-vu de ces dames arboraient
encore des manteaux en phoque ou en rat musqué. Elles avaient des jumelles de
théâtre. Et malgré la critique négative du procès par le dramaturge Willard
Mack – « L’intrigue est faiblarde. La construction puérile. La mise
en scène pitoyable. Les rôles principaux ineptes » –, chaque
représentation faisait salle comble.
Le premier matin, le juge Scudder exposa la situation et les
accusations aux jurés, soulignant que les accusés étaient jugés conjointement
pour meurtre avec préméditation, que chacun était présumé innocent, que la
charge de la preuve ne pouvait être transférée de l’accusation aux accusés et
que si le jury entretenait le moindre doute légitime quant à leur culpabilité,
tous deux devaient être acquittés. Après quoi, il précisa de façon
décisive : « Si deux personnes mal intentionnées unissent leurs
forces délibérément et avec préméditation pour tuer un tiers et mettent leur
dessein à exécution, la loi ne se préoccupe pas de la part relative de l’un ou
de l’autre à l’homicide ; le fait qu’ils aient tous deux participé, dans
une mesure ou dans une autre, les rend également coupables. »
Petit, corpulent, le cheveu argenté, Richard Newcombe
formula calmement, en trente minutes à peine, les solides arguments du
ministère public à l’encontre du couple, articulant avec adresse les détails,
la chronologie des événements et les pièces à conviction, avant de conclure à
la préméditation du meurtre, car, nota-t-il, Henry Judd Gray avait à l’origine
l’intention d’assassiner le mari de Ruth le 7 mars.
« Est-ce la Providence qui a permis à ce pauvre diable
d’Albert Snyder de vivre quelques semaines supplémentaires ? Je n’en sais
rien, mais le crime ne fut pas consommé cette nuit-là. »
Cette tournure vaguement suggestive – « consommé
cette nuit-là » – n’avait rien d’accidentelle. L’adultère et le
meurtre demeurèrent liés pendant tout le procès. Un journaliste cita Périclès de Shakespeare : « Un crime, je le sais, en provoque un autre ;
le meurtre confine à la luxure comme la fumée à la flamme. » Judd avait
admis avoir échangé des « caresses » avec Ruth avant qu’elle eût
étranglé Albert comme après, et étant donné que trois heures entières s’étaient
écoulées entre l’assassinat et le départ de Judd, on comméra qu’ils
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