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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Jean-Louis.
     
    - Oui, et j'avais remarqué votre attitude. Celle d'un homme absorbé.
     
    Un instant, Jean-Louis eut envie de confier à cette étrangère l'incohérence de ses pensées et le doute qui l'avait assailli devant les tombeaux dans l'église d'Alcobaça, quant à la sorte de révélation mystique qu'un profane pouvait en attendre.
     
    Comme si elle avait deviné ses pensées, elle se mit à parler de la reine morte.
     
    - Je crois, dit-elle, qu'il n'est pas au monde de plus merveilleux symboles de l'amour définitif, de la ténacité du cœur humain, de la foi dans l'éternité du sentiment le plus indispensable aux êtres, que ces tombeaux d'Alcobaça. Où commence la légende merveilleuse, où finit la vérité historique...
     
    » Pour ma part, je crois que les poètes ont toujours raison et que la réalité leur appartient plus qu'aux historiens qui se préoccupent des seuls faits sans ressentir la subtilité des intentions. Peut-on tout savoir de l'amour qui unit un homme et une femme si on ne l'imagine pas ? Les dates, les descriptions des lieux et des costumes, les portraits, les relations des témoins les plus impartiaux, en admettant que ceux-ci existent, n'apportent rien. Sans les poètes, les faits d'armes ne seraient que des assassinats révoltants, les enlèvements des adultères ou des viols, les suicides des lâchetés, les sacrifices des ignorances ou des naïvetés condamnables.
     
    » Ce sont les poètes qui rendent aux événements décousus, filtrés, analysés par les historiens, la chaleur, l'odeur, la saveur de la vie. Les légendes sont vraies, elles sont plus proches de ce qui a été vécu que les communications bourgeoises de références. Elles font que le mal n'est pas toujours le mal, et même, quelquefois, le bien.
     
    » Il faut de l'imagination qui ne soit pas subversive pour établir des vérités vieilles de quelques siècles et j'aurais aimé être là pour photographier le macabre et royal cortège qui conduisit un cadavre fait reine, de Coimbra à Alcobaça, un matin d'été sous les mimosas, sous le soleil entre deux haies de paysans nu-pieds et nu-tête, horrifiés et respectueux, brandissant des cierges obligatoires et regardant leur roi, dévoré d'amour, conduire vers son trône immuable sa maîtresse assassinée, dans ses chairs corrompues par un an de tombe, et rendue comme un Lazare à la lumière. Les embaumeurs avaient dû être royalement payés ou fouettés jusqu'au sang, la crainte ou la cupidité leur avait-elle permis de refaire une beauté à Inés ?... À toutes ces questions de civilisés sensibles, de blasés, de citoyens protégés par la justice et la loi, seuls aujourd'hui les poètes répondraient.
     
    Jean-Louis, étonné par tant de loquacité soudaine, ne voulut pas l'interrompre.
     
    » Inés était belle, elle sera belle éternellement. Non, le carrosse n'était pas un corbillard, mais un attelage pour amoureux ; non, les lourds rideaux de brocart, s'entrouvrant aux pas des chevaux, n'exhalaient pas une odeur de pourriture, mais un parfum d'encens. Inés n'était pas un corps à demi rongé par les vers, mais une chair triomphante, désirable, une princesse potelée et rieuse, une morte plus vivante que tous les vivants...
     
    Jean-Louis écoutait ce discours passionné de l'inconnue. Il entrevoyait une sensibilité étonnante ; lui, un être positif, n'avait jamais osé confier à l'imagination la responsabilité de restituer la vérité de la vie aux événements toujours étudiés de l'histoire.
     
    Et, cependant, il sentait que Margaret avait raison. Que s'il voulait véritablement connaître son père, il lui faudrait acquérir cette sorte de foi intuitive dans l'imagination, dépasser ce qu'il avait vécu, deviner ce que, du vivant de Louis Malterre, il n'avait pu définir.
     
    Margaret se taisait maintenant. Ses yeux verts fixaient un coin du plafond du bar, comme s'il était une fresque racontant tout ce qu'elle venait de dire.
     
    Jean-Louis lui toucha le bras. Elle sourit et son sourire avait un charme inattendu.
     
    - Je comprends, dit Jean-Louis, tout ce que vous devez voir à travers le viseur de votre appareil...
     
    Il l'avait ainsi relancée sur son sujet.
     
    Ils bavardèrent encore longtemps dans le bar. Jusqu'à ce que Jean-Louis s'aperçût qu'il était près de neuf heures et qu'il priât Margaret de dîner à sa table. Elle demanda la permission de passer une robe et le rejoignit dix minutes plus

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