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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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tard sur la terrasse, au huitième étage.
     
    Derrière les longues haies, les lumières de Lisbonne semblaient sortir des hortensias bleus et roses qui formaient une haie continue autour du restaurant. Il montait de la ville une sorte de vapeur jaune exhalée par les éclairages de l'Avenida da Liberdade. Au dôme rococo d'un immeuble voisin, une gigantesque fresque de néon rouge crachait, à intervalles réguliers, en décomposant ses effets, le slogan d'une compagnie aérienne. Très loin, de minuscules lumières que l'on pouvait croire des étoiles brillaient aux mâts des bateaux glissant sur le Tage et le faisceau insistant du phare tournoyait, comme la queue d'une comète qui aurait décidé de devenir toupie pour l'éternité.
     
    Quand Margaret apparut, Jean-Louis la trouva toute différente. Les talons hauts lui ajoutaient encore quelques centimètres, le décolleté de sa robe du soir étonnait, les bijoux, le collier surtout et les boucles d'oreilles paraissaient déplacés comme s'ils eussent été présentés sur un mannequin de bois, dans une vitrine. Elle s'avança en s'efforçant de modifier son pas, son allure sportive de femme habituée aux tailleurs de tweed et aux souliers plats. Elle se crut obligée d'avoir une conversation appropriée au cadre, aux circonstances et à la toilette qu'elle portait. Ce fut affecté et banal jusqu'au dessert et Jean-Louis s'ennuya.
     
    Enfin, elle se' mit à parler du Portugal et du culte durable que les pêcheurs vouent à Vasco de Gama, et du héros portugais, le chevalier Martim Moniz, qui défendit Lisbonne contre les Barbares.
     
    - C'était une sorte de Jeanne d'Arc, dit-elle, qui n'aurait pas entendu des voix, mais dont les coups d'épée miraculeux sauvèrent le pays de l'envahisseur maure. Avec Inés de Castro, ils sont les deux êtres les plus attachants de l'histoire portugaise. Leurs vies sont à tous deux des oeuvres d'art. Avec eux l'amour et la foi ont triomphé de la mort.
     
    - Fabuleux destin, en effet, dit Jean-Louis, qui n'avait pas un seul instant cessé de penser au poème trouvé dans la chambre de son père. L'amour et la mort s'y livrent une partie d'échecs cruelle et sanguinaire...
     
    - C'est ainsi, dit Margaret, il n'y a pas de passion authentique sans tragédie ; les vraies amours se trempent dans le sang comme si elles puisaient une force dans la violence.
     
    - Chimène eût peut-être moins aimé le Cid, s'il n'avait dû tuer son père. Pierre le Cruel aurait peut-être été infidèle à Inés, comme il l'avait été à son épouse l'infante Constance de Castille, si son père ne l'avait fait assassiner.
     
    Jean-Louis imagina son père devant les tombeaux ; il crut trouver un sens au poème.
     
    Son père avait-il aimé une morte ?
     
    Était-il venu chercher dans la cathédrale d'Alcobaça la promesse d'une résurrection ou l'assurance en une mystérieuse raison d'aimer encore ?
     
    - Peut-être, après tout, dit-il, la mort n'est-elle pas un obstacle à l'amour, puisque l'absence n'en est pas un et que la mort n'est qu'une absence.
     
    - Une absence rassurante, dit Margaret. Rien ne peut plus arriver aux morts. On ne peut ni les séduire ni les détourner. Ils ne sont pas ouverts à la calomnie, ils ne sont pas sensibles aux douleurs, ils ne vieillissent ni n'enlaidissent. Ils s'imposent avec insolence dans une immobilité totale. Je crois même qu'on peut aimer un mort qu'on n'a jamais connu, qui surgit spontanément dans une solitude...
     
    Brusquement, Jean-Louis l'interrompit.
     
    - Voulez-vous que nous retournions ensemble à Alcobaça ? Voulez-vous m'aider à trouver le sens d'un poème qu'écrivit mon père qui est un mort tout différent du vivant que j'ai connu ?
     
    Par-dessus la table, elle tendit le bras et sa main s'abattit sur la sienne. Elle avait des larmes qui glissaient lentement le long de son nez trop mince.
     
    - Jamais, dit-elle, je n'aurais pu retourner seule là-bas maintenant que mon travail est fini. J'ai besoin de me persuader que ces gisants ne sont qu'oeuvres d'art funéraire, que tous les morts sont bien scellés dans leurs caveaux et qu'ils ne peuvent nous atteindre, qu'il suffit de les rejeter de nos pensées pour les tuer à nouveau et définitivement...
     

6.
     
    L'eau sale du Tage escaladait, avec les hésitations maladroites d'un animal aquatique en quête d'une proie terrestre, les marches de pierre où la légende veut que Vasco de Gama ait débarqué après son

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