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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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avec une sorte d'insistance un peu ironique.
     
    On avait beaucoup reproché à Louis Malterre l'ironie de ses yeux bruns. « Il a toujours l'air de se foutre de vous », disaient ceux qui ne l'aimaient pas. En fait, cette ironie était sans but. Elle existait à l'état latent, tournée aussi bien vers l'intérieur de cet être que vers le monde auquel elle paraissait en permanence reprocher sa futilité. C'était l'ironie de l'orgueil solitaire pour tout ce qui semblait multiple, construit, voulu, recherché, goûté par d'autres que lui.
     
    La place était déserte et le fantôme de Louis Malterre ne s'y trouvait pas. Jean-Louis laissa s'exhaler un soupir, descendit de la murette et regagna à pied le centre de la ville en pensant à Margaret Greenworth et à l'expédition du lendemain à Alcobaça.
     
    Mais qu'apprendrait-il de plus de l'être bien-aimé dont il sentait plus physiquement l'absence ce soir, dans cette ville étrangère, en retournant devant les tombeaux qui lui avaient inspiré un poème où gisait peut-être la recette de sa force et de son dénuement ?
     
    Ils quittèrent Lisbonne au début de l'après-midi dans une voiture de louage ; une vieille Cadillac aux amortisseurs fatigués. Margaret était redevenue elle-même dans sa jupe à plis, sa veste de daim, ses souliers plats. Son énorme sac de cuir surchargé d'étiquettes d'hôtels ressemblait au sommaire du Baedeker mondial. Elle souriait comme s'il se fût agi d'une promenade ordinaire.
     
    Margaret était à ses yeux, et parce que d'étranges circonstances les avaient conduits l'un par l'autre à des confidences inattendues, un être chargé de regrets. Comme l'héroïne d'une pièce qu'on aime, dont la présence, la vie, prennent durant une soirée une importance capitale, pour qui l'on voudrait faire quelque chose, user d'une influence, dans le désir d'en savoir plus et qui, brusquement, quand le rideau tombe et que la lumière de la salle se rallume, devient irréelle, comme le personnage d'un rêve qui ne peut se reconstituer.
     
    À combien d'êtres par le monde, la grande fille aux Leica avait-elle laissé cette impression d'inachevé, d'entrevu, un souvenir irritant, comme celui d'une châsse contenant des reliques précieuses, aperçue dans l'entrebâillement d'une porte.
     
    Le soleil était chaud et Jean-Louis fit descendre la glace de la portière pour respirer un peu.
     
    Ils n'arrivèrent à Alcobaça qu'à la fin de l'après-midi. Quelques kilomètres avant la petite ville, Margaret, qui avait fait des commentaires historiques sur chaque village traversé, s'était tue et, devenue soudain pensive, se contentait de sourire à son compagnon, quand elle sentait que celui-ci l'observait. Ce sourire étonnait Jean-Louis, et il remarquait pour la première fois que ce n'était qu'une formule courtoise de la jeune femme, indiquant qu'elle n'était point absente.
     
    Les yeux semblaient attachés par-delà l'instant du sourire à d'autres visions. Quand Margaret se tournait vers lui, Jean-Louis avait l'impression pénible d'être un être transparent, à travers lequel sa voisine souriait au paysage aride qui défilait lentement tandis que la lourde voiture gravissait une route en lacet.
     
    - Nous y allons tout de suite ? interrogea-t-elle dès que la voiture se fut arrêtée devant l'église.
     
    Sans attendre la réponse de Jean-Louis, elle descendit de l'auto, donna l'ordre au chauffeur d'aller attendre à la terrasse du café voisin et se dirigea vers l'escalier monumental. Sous le porche, elle l'attendit et, ensemble, ils pénétrèrent sous les voûtes cisterciennes.
     
    La première fois qu'il s'était avancé seul, dans l'église nue et vide comme la cale d'un cargo inutile, entre les gigantesques nervures des colonnes, dans les feux croisés des vitraux dépolis avares comme des hublots, il s'attendait à une révélation mystique.
     
    Maintenant, il venait à la rencontre de son propre souvenir. Ce n'était plus le raisonnement qui devait le guider, mais une sorte de croyance toute païenne. Margaret marchait silencieusement sur ses semelles de crêpe, les chaussures de Jean-Louis tiraient des échos des voûtes. Ils étaient seuls, venus là comme des pèlerins qui ont chacun leurs intentions secrètes.
     
    Elle se dirigea tout de suite vers le tombeau d'Inés et il la suivit machinalement. La lumière douce de la fin d'après-midi exagérait encore le teint d'ivoire patiné de la pierre, les anges

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