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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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éparses dans ce corps perdu.
     
    Jamais jusqu'à cet instant, il n'avait vécu aussi nettement la mort de son père. Tous les détails revenaient à sa mémoire, avec précision, alors qu'hier il eût été bien incapable de les ranimer volontairement.
     
    Louis Malterre avait voulu parler, prononcer une phrase qui expliquât tout, exiger ou conseiller. Le cruel était l'incompréhension, l'incertitude. Peut-être n'était-ce qu'une plainte de mourant, un adieu banal, des sons sans suite, formés hors de la volonté de l'être, arrachés au monde sensible, c'était ce qu'il pensait, lui, le fils du mort, jusqu'à cette minute. Maintenant seulement le doute apparaissait : le dernier effort du mourant signifiait peut-être autre chose.
     
    Les yeux grands ouverts devant le tombeau, Jean-Louis ne voyait plus un gisant de pierre, il ne sentait plus le poids de son corps, non plus que sa volonté qui le maintenait debout : il traversait une étrange hallucination.
     
    Son père demeurait là, devant lui, dans le contexte du lieu où la mort l'avait saisi, tout entier dans le regard où avait dû passer tout un monde, où le mystérieux poème avait sa raison d'être et sa résonance vraie.
     
    Quand il sortit de cette exaltation de l'esprit qui devait plus tard lui laisser le souvenir d'une extase indépendante où son moi n'avait eu aucune part - car il lui avait été donné de voir sans que rien d'humain intervienne - la cathédrale baignait dans l'ombre. Une dernière clarté rougeoyante tombait sur le tombeau, le réduisant à des lignes imprécises et floues, mettant de la modestie dans ses proportions, amputant le corps de pierre, le réduisant à une projection sans volume.
     
    Jean-Louis eut un tremblement. Quand il passa la main sur son front, il le sentit moite et fiévreux. Il avait ici perdu la notion du temps et de lui-même, de sa propre vitalité, comme s'il avait eu un instant la grâce d'une vision païenne. Il avait aussi oublié Margaret Greenworth. La nef était déserte et, très loin dans une sorte de brouillard, il vit en se retournant à l'autre bout de l'église un trait net, la lumière qui par la porte entrebâillée lui disait la direction du retour vers le réel où l'attendaient d'autres questions.
     
    Il eut un moment l'envie de demeurer ici, où tout paraissait résolu, hors de sa compréhension, puis il se mit en marche et, sans entendre le bruit de ses pas, il quitta Santa Maria, à travers les enfants bruyants qui jouaient sur les marches du parvis.
     
    Margaret Greenworth l'attendait au restaurant d'en face devant un verre de porto, en bavardant avec le maître d'hôtel. Quand il se fut assis en face d'elle, il eut la sensation de quelqu'un qui retrouve ses habitudes après une longue maladie. Elle sourit et dit une phrase en portugais au garçon qui revint avec un verre. Il but lentement, comme un noyé raisonnable qui se ranime avec prudence. La chaleur du vin acheva de lui restituer son humanité.
     
    - Margaret, dit-il sans se rendre compte qu'il l'avait appelée par son prénom, j'ai dû rester longtemps dans l'église.
     
    - Près de deux heures.
     
    Elle aurait voulu savoir quelles avaient été ses pensées pendant tout ce temps, mais la phrase qu'elle prononça fut banale et de pure courtoisie :
     
    - Je craignais que le garde ne vous enferme !
     
    Mais Jean-Louis n'entendit pas. Il poursuivait sa quête et voulait que cette femme y fût associée.
     
    - Je suis resté bien longtemps, car j'ai appris beaucoup de choses sur moi-même.
     
    Sa voix se fit plus nette, plus ferme quand il ajouta :
     
    - Je sais maintenant que mon père a voulu me charger d'un message, qu'il a eu le désir de dépouiller, au moment de sa mort, son personnage quotidien, qu'il m'a désigné comme son seul confident et que je n'ai pas compris. Je sais aussi que je ne serai moi-même qu'au jour où j'aurai tout expliqué. La vie de mon père est comme un de ces jeux d'assemblages où l'on doit mettre en harmonie des pièces noires et blanches pour former une continuité logique et esthétique. Il y a un ordre que je puis seul rétablir. Par vous et par ces tombeaux, j'ai appris cela. Je vois mal le sens de ces choses et parce que je ne suis pas un philosophe, ni un mystique, j'hésite sur la direction, je m'effraie à la pensée d'une erreur, je me trouve engagé dans une quête dont le but m'est caché, mais dont la nécessité s'impose.
     
    - Souvenez-vous, dit Margaret, du

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