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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Saint-Graal ; il y avait pour les élus de la Table ronde une succession d'embûches et de grâces. Les embûches sont en vous-même, Jean-Louis, mais les grâces vous seront données, comme ce soir, quand il sera indispensable qu'elles le soient. Promettez-moi seulement de me dire l'issue, car moi je n'ai encore pas eu la grâce, et j'ai peur de m'être choisi une voie qui ne conduit qu'au néant.
     
    Ils dînèrent en parlant de choses et d'autres, avec une grande confiance. Entre eux s'était établi un accord, sûr, implicite. Ils raisonnaient en sachant que tout un fonds d'expérience leur était commun, comme les citoyens d'une même ville ayant un passé, une histoire commune. Mais tandis que Margaret s'était établie depuis longtemps sur ces domaines de l'esprit et de la pensée, Jean-Louis venait d'y accéder et avait encore besoin d'un guide.
     
    À la fin du repas, il décida de tout livrer à la jeune femme. Longuement, il lui parla de son père, de la vie aux Cèdres, de l'usine, de son existence, qui lui apparaissait jusqu'à ce jour vide de sens, routinière, où jamais il ne s'était senti profondément engagé.
     
    - J'agissais, comme si le but final était de vendre le plus possible de boulons et de charpentes métalliques. Je suivais mon père, mais une partie de mon père seulement, aujourd'hui je m'en rends bien compte. La partie agissante, extérieure, la seule accessible de cet être. J'étais comme ces ignorants de la science qui s'émerveillent d'un appareil utile à la vie domestique, sans rien deviner de son principe savant et des sommes de recherches arides qu'il a exigées ; comme ces gens qui conduisent une automobile sans même savoir ce qu'est un moteur à explosion.
     
    Margaret souriait. Pour être juste, les comparaisons de Jean-Louis n'en demeuraient pas moins simplistes et presque naïves ; mais elles prouvaient son cheminement, ce qui lui donnait confiance, comme si elle se fût sentie responsable de la transformation de cet homme qu'elle ne connaissait pas une semaine auparavant.
     
    Pour l'instant, Jean-Louis dégustait son café bouillant à petites gorgées en lui souriant à travers la vapeur aromatique du breuvage. Elle était convaincue que cet inconnu aux yeux clairs, qui venait de la mêler à sa vie, si intimement, était plus proche d'elle que ses amis de vieille date. Elle tendit la main par-dessus la table et serra celle de Jean-Louis.
     
    Un observateur indifférent et non instruit de ces deux êtres eût vu là un geste d'amoureuse, mais Jean-Louis et Margaret étaient de ceux chez qui l'amour s'exprime sans geste, elle avait spontanément cherché un contact sans équivoque. Peut-être en cet instant partageraient-ils la même ivresse des esprits sûrs de leur alliance.
     
    - Merci, dit-elle à voix basse. Merci d'exister, et deux larmes sans suite, rondes et lourdes, larmes de petite fille sans orgueil, glissèrent jusqu'à ses lèvres où elles se perdirent dans un nouveau sourire.
     
    Jean-Louis sut à cet instant que, aussi longtemps qu'il vivrait, cette soirée demeurerait dans sa mémoire. Il lui suffirait de fermer les yeux pour entendre le cliquetis des couverts, sentir sa main prise entre la fine toile de la nappe et la tiédeur pénétrante de la main de Margaret et retrouver en lui cette crispation des nerfs à hauteur de l'estomac et ce léger tremblement dans la gorge.
     
    - Un jour peut-être, dit-il, tout cela nous paraîtra simple, mais en cet instant, j'ai l'impression de naître à une existence nouvelle. Je ne sais si elle sera facile, mais je n'aurais pu comprendre la mort si je n'étais pas enfin né à cette vie-là.
     
    Margaret avait retiré sa main et semblait reprise par son rêve intérieur. Jean-Louis se tut et, levant la tête, aperçut dans une glace son propre visage. Pour la première fois, il ressemblait à son père et ses yeux lui renvoyèrent ce petit éclair d'ironie froide qu'ont les contemplatifs sur les fresques du Moyen Âge.
     
    Dans la voiture qui roulait vers Lisbonne, à travers la campagne noyée dans la nuit, ils se turent. Le chauffeur conduisait avec dextérité. Jean-Louis avait un sentiment confiant. Il regardait en lui-même et y découvrait une foule de réflexes nouveaux.
     
    Margaret, les yeux clos, paraissait harassée par ce voyage. Il pensa qu'il aurait pu la désirer ou l'aimer, mais cette soirée les avait portés bien au-delà des sentiments et des désirs. Ils avaient été deux

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