Une tombe en Toscane
moment pensé à faire de lui son gendre.
Le charme du notaire était soigneusement entretenu et souligné par une élégance de bon ton. Tout le monde savait que ses deux séjours annuels à Londres étaient plus motivés par les essayages prévus chez un tailleur de Bond Street, que par les visites qu'il était censé rendre à des amis de guerre.
Sans être grand, M e Settier avait de la prestance, un visage noble sans une ride, des yeux bleus très vifs dont il jouait admirablement, un nez mince et surtout une étonnante chevelure argentée qui lui était venue dès la trentaine. Il avait quelque chose du diplomate titré et du clergyman mondain.
Il ne parlait jamais qu'un ton au-dessous de la normale, d'une voix chaude qu'il semblait contenir, comme s'il eût été vaniteux d'en laisser paraître toute la sonorité. Il s'appliquait à ne pas faire de gestes, mais son attitude était sans raideur, d'une parfaite aisance. Il se contentait de sourire quand les autres riaient et personne ne pouvait se vanter de l'avoir entendu participer à une conversation où l'on risquait de médire d'un de ses contemporains.
Sa bibliothèque, d'une richesse incomparable, ne renfermait pas un seul roman, mais des mémoires qu'il collectionnait comme s'il avait eu l'intention d'écrire un jour l'histoire du monde à travers les confidences des grands hommes.
Les romans, M e Settier se contentait de les vivre. Ses liaisons et ses aventures étaient nombreuses, mais jamais une seule femme n'avait franchi le seuil de son appartement où régnait une vieille gouvernante acariâtre.
Le rez-de-chaussée de son hôtel était réservé à l'étude, où clercs et secrétaires subissant le charme du patron travaillaient dans une atmosphère ouatée et silencieuse. Le calme et la maîtrise de M e Settier s'étaient communiqués comme une maladie à ses collaborateurs qui, avec plus ou moins de bonheur, imitaient le patron. Cette ambiance, cette distinction étudiées conféraient à l'étude de M e Settier une réputation de sérieux inaltérable et il était dit par la ville qu'une affaire dont le notaire n'avait pas voulu s'occuper était une affaire véreuse.
On le croyait avare parce qu'il ne possédait pas d'automobile et se contentait, à l'occasion, des services d'un loueur ou d'un taxi, à moins que ses clients ne mettent à sa disposition voiture et chauffeur, quand ils requéraient ses services.
Parmi les principes de M e Settier, il en était un qu'il observait scrupuleusement : ne jamais faire de frasque dans le département. Aussi prenait-il ses distractions et jouissait-il de ses maîtresses hors des frontières de la Loire, à Lyon, où il possédait, affirmaient certains, une garçonnière, dans une des rues grises du quartier d'Ainay.
Camille Malterre avait toujours plu à M e Settier. Elle était jolie, son âge se situait dans cette période de la vie où les femmes ont de la douceur dans le refus et de la fougue dans l'abandon. Il avait deviné, la première fois qu'il l'avait vue, qu'elle ne devait rien connaître de l'amour, qu'elle vivait au côté de Louis Malterre comme une châtelaine attachée par tradition de fidélité à son maître et seigneur de qui elle n'attendait rien de plus que le nom et l'anneau qu'il lui avait donnés. M e Settier n'aimait ni les jolies femmes ni les bourgeoises dévergondées. Camille avait de la fraîcheur et de l'innocence : on pouvait espérer d'elle une passion mesurée et certains appétits de découverte.
Il vint sonner à la grille des Cèdres peu après que Camille se fut remise à son piano. Elle l'accueillit chaleureusement. Après l'évocation aimable du souvenir de l'industriel disparu, Georges Settier fit compliment à Camille du courage avec lequel elle acceptait, si jeune, cette solitude.
Elle ne dit mot. Il se hasarda à déclarer que son charme n'avait pas été affecté par le deuil. Elle remercia d'un sourire éclatant et le notaire encouragé finit par assurer qu'il ne l'avait jamais vue aussi jolie. Elle rougit de satisfaction.
Habitué aux femmes, M e Settier vit que l'espoir de conquérir Camille lui était permis et commença à parler succession en ayant envie d'aller tout de suite plus loin, de dire par exemple que la solitude était accablante... Mais il se contint, à la fois par élégance, et par une sorte d'épicurisme qui lui faisait entrevoir que les plaisirs à venir valaient certainement
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