Une tombe en Toscane
l'abandon de ceux du moment.
Ce jour-là, il avait apporté un dossier que Camille refusa de voir. Après le thé, elle l'invita à revenir la semaine suivante.
Il finit par se présenter deux fois par semaine, avec ce même dossier qui ne fut qu'entrouvert. Par un mercredi pluvieux, quelques jours avant le retour de Jean-Louis, il sentit que l'instant était venu de pousser l'attaque. Il était vraiment amoureux de Camille.
Cela se passait dans un boudoir du rez-de-chaussée où Camille se tenait habituellement. Georges Settier, dans un fauteuil bas à volant, dégustait une vieille fine servie après le café. Camille lui faisait face, sur un canapé, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains avec un air de petite fille attentive.
M e Settier pensa qu'il ne convenait plus de marivauder, mais d'agir. Il fit le tour de la table basse, laque noir japonais, et vint s'asseoir près de Camille. Il lui prit l'épaule et doucement attira sa tête contre sa joue et de sa voix inimitable et infaillible, il dit son nom :
- Camille...
Ils restèrent ainsi un moment tandis que Georges Settier essayait de comprendre le sens des dessins de la table japonaise, puis, doucement, sa main si soignée remonta jusqu'au menton de Camille, lui releva la tête et quand elle lui fit face, M e Settier plaça son deuxième argument, son regard qui, pensa-t-il, devait refléter une parfaite et accueillante douceur, quelque chose comme l'éclat voilé mais insistant de la lampe qui veille dans une chapelle sombre, ou comme l'attrait d'un edelweiss sur la neige. Il vit alors que Camille avait les yeux pleins de larmes, que sa lèvre tremblait comme le bord charnu d'un pétale. Elle eut un sourire qui le bouleversa et lui fit oublier les règles de sa tactique.
- Vous êtes gentil, dit-elle, et sans contrainte elle se rapprocha de lui.
- Je vous aime depuis longtemps, articula Georges Settier. Votre image m'a tenu de longs moments hors de mes préoccupations, maintenant je crois avoir le droit de vous le dire.
La main de Camille lui caressa la joue. Cette main était tiède et d'une moiteur parfumée. Quand Camille tourna à nouveau son visage vers lui, il l'embrassa longuement.
« Elle embrasse comme une petite fille », pensa-t-il, et l'instant d'après, il l'attira plus près de lui en la renversant contre le dossier du canapé.
Camille avait le souffle court. Sa poitrine palpitait d'étrange façon. Elle était incapable de par-1er et quand Georges introduisit sa main dans l'échancrure de sa robe, elle prit à deux mains le bras du notaire, le serra sans le repousser. Ce fut son seul mouvement de réticence, ce petit baroud de l'honneur féminin, qui n'est pas une défense mais une réplique classique du dialogue des désirs qui se reconnaissent.
Quand, plus tard, étonné par la grâce de ce corps de femme qui approchait la cinquantaine, il effleura ses genoux et en vint aux caresses plus insistantes, elle se redressa et le rouge envahit ses joues. Une image traversa sa pensée : celle de la bergère qui se défend, sous une tonnelle, des tendres assauts d'un voyageur impatient, et qu'elle avait vu en frontispice sur un recueil de mélodies.
- Non, dit-elle, pas ici, c'est le boudoir. D'un geste machinal, M e Settier rétablit la cambrure de sa cravate et se retint d'épousseter d'un revers de main le haut de sa manche où étaient restées quelques poussières de fard.
« Il va falloir l'emmener à Lyon », pensait-il.
Et son désir était tel de cette femme, qu'il eût été prêt à renier sur l'heure ses prudents principes.
C'est alors que Camille, avec une charmante impudeur qui n'était que le cri de la femme redoutant d'être frustrée de l'étreinte attendue, lui prit la main, se leva, avec dans les yeux un appel où passait toute l'avide curiosité d'une passion possible.
- Venez, pas ici, mais au premier étage...
Georges Settier eut un mouvement de recul, l'envie de fuir, de renoncer à l'aventure, mais Camille était devant lui, les mains tendues, déjà offerte. Il se souvint en un éclair de toutes les soirées, quand rentré chez lui, après l'avoir croisée dans la rue ou rencontrée dans un salon, il imaginait ce qu'elle devait être dans l'abandon de l'amour.
Et puis, dans cette possession prévue maintenant, il y avait une sorte de vengeance de son orgueil de tabellion, de cette antipathie que lui avait toujours
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