Une tombe en Toscane
inspirée Louis Malterre, dont le charme sans apprêt aurait pu faire de lui un rival, s'il s'était mêlé de mondanité. Il y avait aussi la secrète sensation d'un aboutissement à sa carrière amoureuse, et peut-être enfin l'espoir de ce qu'il avait inconsciemment désiré, à travers le jeu furtif des baisers et des rendez-vous : la possession d'une femme qu'il n'aurait pas envie d'oublier.
En montant l'escalier, Camille avait des pensées bien différentes. Elle n'était plus Camille Malterre.
Elle se vengeait d'elle-même, du long refus de vivre qui avait été son existence. Peut-être allait-elle se conduire comme une fille sous son propre toit. Comme ces joueurs naïfs et simples dont on pipe les dés et qui découvrent, longtemps après, la tricherie, elle relançait son atout en découvrant qu'elle était faite pour aimer et être aimée.
Elle n'avait plus d'âge, plus de principes, elle refusait les conventions. Elle avait peur aussi, comme on a peur quand après une longue maladie on redoute le reflet du miroir.
Au premier, elle ouvrit la chambre d'amis, voisine de celle où, quelques mois auparavant, son mari était mort.
Ils y restèrent deux heures, comme des amants de commencement du monde. Agnès était sortie pour la soirée, les domestiques se trouvaient dispersés par le congé hebdomadaire. Il leur fallut longtemps pour se séparer au seuil de la chambre. Le maquillage de Camille avait fondu sous les baisers, ses cheveux blonds croulaient sur ses épaules. Georges Settier avait noué sa cravate de travers et pour la première fois de sa vie ne s'en préoccupait pas.
Leurs yeux se disaient par-dessus les mots d'au revoir qu'ils avaient été comblés. En traversant le parc, sous les tilleuls, il se retourna : une fenêtre venait de s'allumer. Camille avait regagné sa chambre, heureuse et exténuée.
« Je ne pourrai pas l'épouser avant six mois », se dit M e Settier.
Il s'en fallut d'une minute et d'un caprice du destin qu'il ne croise Agnès remontant à grandes enjambées le chemin des Cèdres, humiliée par le désir rustique du forgeur Félicien Barrot.
Jean-Louis ne devait apprendre que beaucoup plus tard la liaison de sa mère avec Georges Settier et la crise de conscience d'Agnès, dont la vocation de Pasionaria s'était éteinte.
Les premiers jours qui suivirent son retour lui apportèrent beaucoup de préoccupations. À l'usine, parce qu'il avait négligé quelque temps de visiter les clients importants, le carnet de commandes ne s'était pas augmenté d'un seul marché depuis la mort de son père et il dut envisager de diminuer le nombre des heures supplémentaires. Immédiatement, les ouvriers réagirent et envoyèrent leurs délégués à Jean-Louis.
Il y eut de longues discussions qu'il dirigea comme l'eût fait son père avec fermeté et confiance. Ses interlocuteurs qui saisissaient l'occasion de « tâter » le nouveau patron se retirèrent convaincus qu'ils n'obtiendraient pas du fils ce que le père n'aurait pas donné, mais qu'ils pouvaient conserver la même assurance dans l'équité du chef.
Jean-Louis convoqua les agents généraux de l'entreprise, passa une quinzaine de jours à Paris à offrir des déjeuners et conclut plusieurs marchés qui assuraient pour longtemps l'activité de l'usine. Ses journées retrouvèrent le rythme routinier que Louis Malterre avait imposé. Il put enfin penser sérieusement au voyage en Italie.
C'est alors qu'il allait aux mêmes heures de la villa à l'usine qu'il découvrit quel devait être en fait le vide de l'existence de son père. Maintenant qu'il occupait sa place, qu'il agissait comme il l'avait vu agir, qu'il supportait les mêmes responsabilités, que son temps se dépensait dans des limites identiques, il constatait que l'usine ne suf fisait pas à remplir l'univers de ses possibilités, ni à occuper toutes ses pensées.
Jean-Louis se posa longtemps la question de savoir si Louis Malterre avait eu une vie intérieure intense et quelle pouvait être son orientation. Le poème sur les tombeaux d'Alcobaça devait être une œuvre de jeunesse ; en avait-il écrit d'autres ? Le mysticisme et la sensibilité que les vers traduisaient avaient-ils été durables ? Rien ne venait le prouver.
Certes, Louis Malterre s'enfermait souvent dans la serre aux orchidées. Jean-Louis s'y enferma et se mit à examiner chaque fleur, chaque plante en évitant de
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