Une tombe en Toscane
qu'à la fin de l'hiver il irait à Sienne. Ce n'est que lorsque cette décision fut arrêtée qu'il put s'endormir.
DEUXIÈME PARTIE
LA QUÊTE
1.
Arriver à Sienne, un soir de mars, sur le coup de dix heures, c'est débarquer dans une ville qui a encore les yeux grands ouverts. Les Siennois ne sont pas gens à se coucher tôt. Ils flânent l'été sur le Campo ou dans la Via della Città pour se frotter aux touristes. L'hiver, ils aiment parcourir leurs ruelles dallées, où le jeu des courants d'air met parfois une atmosphère glaciale.
Mais c'est par les soirs de printemps qu'ils ont le plus de plaisir à se promener dans le parc de pierre qu'est Sienne chevauchant ses trois collines entre l'Orbia et l'Elsa.
Quand le premier soleil a léché les vieilles briques de la tour Mangia et caressé d'un rayon le marbre zébré de la cathédrale, le souvenir des jours frileux disparaît et les femmes retournent à la Fontebranda faire la lessive.
Après le travail, les étudiants et les étudiantes, les employés et les bourgeois se croisent, passant des lumières plates des vitrines à la pénombre des carrefours à lanternes, que traversent dans un bourdonnement de guêpes métalliques les scooters.
Quand Jean-Louis sortit de la gare, il connaissait déjà Sienne par l'intermédiaire d'un moine rencontré dans le train qui l'amenait de Rome. Il avait deviné confusément qu'il y avait un code spécial des convenances pour bien se conduire dans cette ville toscane, code qu'il faudrait apprendre sous peine d'être considéré comme un touriste sauvage, plus redoutable encore parce que venu, hors saison, se mêler à la vie de la cité.
Le taxi qui lui parut ne pas avancer plus vite que les piétons à travers une succession de rues en pente, étroites et parfois tracées comme des chemins de ronde, le déposa devant son hôtel, près de la porte Due, en haut de la ville. Il confondit les lires et les francs et donna un pourboire exagéré. Le chauffeur descendit de son siège, ôta sa casquette, daigna même porter la valise jusqu'à la porte et tirer une poignée de cuivre.
La voiture ayant fait demi-tour, Jean-Louis attendit un certain temps. Le Palazzo n'avait rien d'un hôtel ordinaire. Tout d'abord, il était sombre et silencieux, comme ces hautes maisons de brique qu'il avait aperçues au long des ruelles et l'enseigne se résumait à une plaque de cuivre apposée à hauteur d'homme.
Enfin, la porte s'ouvrit, et apparut un domestique portant une sorte de dolman blanc à col officier, rehaussé d'épaulettes et de boutons d'or, comme en arboraient les colonels du tsar, en petite tenue.
- Signor Malterro ? interrogea l'homme.
Jean-Louis acquiesça et fut invité à suivre le maître d'hôtel qui avait italianisé instantanément son nom, comme pour lui démontrer qu'à Sienne, il ne convenait pas de jouer à l'étranger, hors du temps du Palio.
Sa chambre lui plut tout de suite. C'était une vaste pièce coupée en deux par une sorte d'arcade soutenue par des colonnettes de marbre rose. Au-dessus du lit, large et trapu comme un coffre plat surabondamment sculpté, une fresque aux teintes adoucies ornait le plafond. Les fenêtres doubles étaient parées de vitraux colorés et un tapis blanc de haute laine tranchait sur le dallage de marbre noir, où Jean-Louis avait glissé dès le premier pas.
Par une voûte on pénétrait en ouvrant une énorme porte à gonds forgés dans une salle de bains inattendue, sous un éclairage fluorescent à la dernière mode. Deux fauteuils recouverts de tapisserie, dotés de hauts dossiers et d'accoudoirs sculptés, complétaient, avec une petite table dans le même style et quelques chaises, le mobilier de la chambre. Un coffre très ancien servait de banquette et des appliques en forme de torchères répandaient tout autour de la pièce une lumière douce. Les murs étaient enduits à la chaux et des tableaux prenaient toute leur valeur sur cette blancheur qui ne donnait pas l'aspect d'une nudité, mais d'une sobriété cossue.
Le Palazzo était l'ancien palais d'une grande famille siennoise. Il était tel qu'on aurait pu le voir cinq siècles plus tôt. Salle de bains et éclairages mis à part, rien n'avait été sacrifié à l'idée moderne qu'on se fait du confort.
La comtesse Crocci, propriétaire du Palazzo qui appartenait à sa famille depuis six siècles, avait dû se résoudre, pour pouvoir
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