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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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hallucination.
     
    Un caladium du Bosphore, dont la corolle ressemblait à un col empesé, fit un signe et toutes les plantes parurent se déployer, grandirent jusqu'à toucher la voûte. Leurs tiges velues ou diaphanes eurent des ondulations, comme si un rire intérieur les parcourait ; les feuilles devinrent des bras menaçants en forme de lances, de dards, de sabres larges ou de yatagans. Il avait profané un temple dédié à une divinité de chair verte, un cypripédium béant de fureur dressa, comme un monstrueux dauphin, un échinopsis sanguinolent, devant qui il fallait immoler l'infidèle et jeter son corps en pâture à la plante carnivore, parcourue de soubresauts hystériques devant la proie promise.
     
    Jean-Louis chancela, fit un pas en arrière. Son coude heurta un pot de grès dans lequel palpitait une orchidée bleue à la grâce maladive. Le pot se brisa en tombant sur le ciment et la vision d'enfer se dissipa brusquement. L'orchidée décapitée, flétrie en une seconde, gisait à ses pieds. Ramené à la réalité, il se baissa, ramassa la plaquette de bois jaune retenue par un fil de fer à l'un des débris du pot et quitta la serre avec de douloureux battements dans les tempes.
     
    Le lendemain, en descendant à l'usine il prévint Émile qu'il aurait à nettoyer la serre où il avait brisé un pot contenant une orchidée.
     
    - Je sais, dit le chauffeur, j'y suis allé ce matin. C'était la fleur que préférait votre père. Elle venait d'Italie.
     
    Dans l'après-midi, au bureau, la phrase du jardinier lui revint à la mémoire. Ainsi, elle venait d'Italie cette orchidée qui, à ses yeux, n'avait rien de remarquable, sinon peut-être, il s'en souvenait, les taches bleues de ses pétales et la dentelle d'un bleu plus soutenu qui bordait sa bambelle.
     
    Émile avait dit : « Elle venait d'Italie », comme si la provenance de la fleur ajoutait à sa valeur ou lui conférait un prix particulier. Comme si Louis Malterre y avait tenu spécialement à cause de son origine italienne.
     
    Il se souvint aussi de la plaquette de bois ramassée dans la serre après la chute de la plante. Elle était encore dans sa poche. Sous la lampe de bureau, il déchiffra avec difficulté l'écriture à demi effacée - celle de l'horticulteur sans doute - qui avait tracé à l'encre violette « Orch. Anna Batesti. Firenze. »
     
    Le nom de la fleur retint son attention. Il éveillait en lui une vague connaissance. Il lui sembla qu'il l'avait déjà lu, que sa mémoire l'avait enregistré sans toutefois pouvoir y rattacher une chose ou un fait précis. Il allait abandonner quand le souvenir de la facture du sculpteur siennois trouvée dans les papiers de son père s'imposa : « ... sulla tomba della signorina Batesti... » C'était bien le même nom précédé cette fois d'un prénom, celui de cette morte peut-être. Et peut-être n'était-ce pas une coïncidence...
     
    Il questionna le jardinier pour savoir quand son père s'était intéressé à ces fleurs...
     
    - Il y a bien longtemps, ce devait être en 25 ou 26, je ne m'en souviens plus, on se fait vieux, lui répondit Émile.
     
    Aux Cèdres, il traversa le hall sans entrer dans le salon d'où lui parvenait le bruit d'une conversation. Il pensa que le notaire était venu bavarder avec sa mère et monta jusqu'à sa chambre directement. Il voulait tout de suite vérifier une date : celle de la facture du marbrier italien, sans envisager la moindre déduction possible, sans même savoir pourquoi il y mettait tant d'empressement. Plus tard, en pensant à ce jour-là, il fut tout près d'admettre qu'une intuition avait inconsciemment guidé sa pensée et ses actes.
     
    La facture était datée : octobre 1926 ; « les années 25 ou 26 », avait dit Émile. Que s'était-il passé à cette époque dans la vie de son père, qui n'avait épousé Camille qu'en 1927 ? Était-ce une nouvelle piste vers la connaissance de l'homme qui le hantait, six mois après sa mort, que le hasard d'une maladresse et d'un étourdissement dans la serre surchauffée lui apportait ?
     
    Le tombeau d'Inés de Castro lui avait dénoncé la présence d'un mystère dans l'existence trop unie et trop sincère de Louis Malterre ; une fleur et une facture pour un tombeau lointain qui, insolitement, avait été payé par son père, apporteraient-elles plus de cohérence à sa patiente possession du seul patrimoine qui lui importât réellement ?
     
    Ce soir-là, il décida

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