Une tombe en Toscane
entretenir le bâtiment et payer ses impôts, à le transformer en hôtel. Elle n'y recevait que des clients recommandés par des amis, mais tout nouveau client dûment parrainé avait la possibilité de devenir un ami.
Parce qu'elle voulait donner à ses locataires l'impression qu'ils étaient des invités, la comtesse s'était refusée à signaler l'hôtel par une véritable enseigne. Pour pénétrer au Palazzo, il fallait sonner et le client, à moins qu'il n'arrivât de nuit, comme Jean-Louis, était tout d'abord présenté à l'hôtesse qui le conviait, quelle que soit l'heure, à prendre un porto dans son salon, tandis qu'on montait ses bagages.
Dès le lendemain, au petit déjeuner, la sensation d'être convié à un séjour chez quelque prince, respectueux du repos et de l'indépendance de ses invités, se précisait. La femme de chambre ne parlait qu'italien, servait et desservait en glissant sur les dallages et apparaissait au premier coup de sonnette comme si elle eût été au service d'un seul maître.
Après une nuit calme, Jean-Louis ouvrit les yeux et regarda le réveil de voyage qu'il avait posé à la tête du lit. Il marquait 9 h 30. Le jeune homme savourait son bien-être, pensant qu'il y avait des années qu'il ne s'était éveillé aussi tard. Un silence total, un peu monastique, aurait pu laisser croire que les habitants de cette maison illustre avaient fui ou qu'ils étaient de pierre.
Il sonna pour que la femme de chambre vienne ouvrir les volets et tirer les rideaux. C'était une petite vieille sèche ; elle murmura une formule de politesse incompréhensible. Jean-Louis lui désigna les fenêtres. Quand elle disparut, le soleil entrait en triomphateur ironique dans la chambre. Au plafond, au-dessus du lit, des Amours dodus continuaient leur immobile poursuite parmi les fleurs.
Jean-Louis imagina qu'il était un jeune seigneur siennois de la Renaissance s'éveillant et cherchant dans la fresque aux Amours un sens aux occupations de la journée commençante. Il pensait que des levrettes blanches devaient se trouver là, allongées au pied du lit, et qu'un valet à collerette de dentelle, à pourpoint rouge et or, allait lui tendre une chemise de linon parfumé.
Comme pour entrer dans le jeu de son imagination, la soubrette revint portant un immense plateau d'argent où trônait une cafetière ancienne, au milieu d'une vaisselle de porcelaine aux armes des Crocci. Devant la fenêtre ouverte, il croqua les toasts tièdes pliés un à un dans des toiles légères comme de la batiste, en regardant sur les remparts, par-delà le jardin en pente, une escouade de fantassins manœuvrer sous les ordres d'un officier gesticulant.
Au loin, sur le moutonnement inégal des collines toscanes qui inspirèrent Dante, un carré de cyprès entourait un cimetière. Jean-Louis pensa qu'il devrait aller jusque là-bas pour avoir une explication de la facture découverte dans la chambre paternelle.
Alors qu'au Portugal, il avait cherché avec une sorte de fièvre mystique et une grande crainte d'être déçu à retrouver l'émotion secrète du poème, ici, en Italie où devait se cacher la dernière chance d'explication, tout lui paraissait conforme à on ne sait quel destin. Son inquiétude paraissait fondre dans le soleil, les crispations dramatiques de son esprit ne venaient plus troubler la jouissance primitive qu'il ressentait. La vue du cimetière venait de lui rappeler qu'il n'était pas un dilettante accomplissant son voyage d'Italie, mais il sentait confusément que se presser d'enquêter ne ferait pas avancer les choses.
Il mit longtemps à faire sa toilette et à s'habiller. Il s'offrit le luxe plaisant de choisir minutieusement une cravate et, quand il fut prêt à sortir, demeura encore un moment à fumer devant la fenêtre ouverte en ayant conscience de poser, un peu comme ces jeunes premiers qui ont l'air de méditer en attendant que la scène suivante leur apporte un message du destin qui va susciter un drame ou une comédie.
La comtesse l'attendait dans le hall. Le docteur Fernet, qui lui avait donné l'adresse du Palazzo et la recommandation indispensable pour être admis à y loger, l'avait prévenu : « Ne la traitez pas en hôtelière, elle serait vexée, mais ne soyez pas familier. Oubliez que vous avez une note à régler, traitez-la en douairière généreuse et tout ira bien. »
La comtesse fut charmante et l'invita à prendre le
Weitere Kostenlose Bücher