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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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doute est une maîtresse qualité, dit Bartoli. Sans le doute, on ne progresse pas.
     
    - Il en est de même en toute chose, répondit Jean-Louis, et il se remit à son travail.
     
    En fait, c'était bien au doute qu'il devait d'être sorti de cet hypnotisme inconscient où l'avaient tenu l'amour et l'imitation de son père. Longtemps, comme un homme perdu dans la vase d'un puits profond, il avait tenté de découvrir l'échelle invisible qui lui permettrait de se hisser jusqu'à un air plus respirable. Maintenant, il y était parvenu et l'équilibre intérieur lui avait été donné comme une grâce. Ayant acquis la conscience d'exister en tant qu'être indépendant, il s'offrait une convalescence que rien ne limitait dans le temps. La chance d'être riche et sans liens d'aucune sorte, la volonté qu'il avait eue de se débarrasser des responsabilités ennuyeuses, lui laissaient l'esprit libre et rien ne lui paraissait, dans le moment, plus important que de découvrir dans des morceaux de terre cuite épars devant lui, le triangle ocre qui compléterait le plateau sur lequel il travaillait depuis un mois.
     
    D'octobre à janvier, il avait échangé quelques lettres avec Anne. La jeune fille l'entretenait de ses travaux, des examens, de la santé de son père et de l'oncle Giovanni, des perspectives du Palio. De temps à autre, une phrase rappelait à Jean-Louis les circonstances de leur rencontre, elle parlait avec une pudeur orgueilleuse de sa solitude comme si elle escomptait un écho attentif.
     
    Pour sa part, Jean-Louis s'efforçait de la tenir au courant des fouilles, des recherches. Il s'attachait aux détails et faisait étalage de son érudition récente. Par deux fois, il avait déchiré des lettres où s'affirmait un amour avide d'assurance et de promesses, car la phrase d'Anne lui revenait dans les moments où il désirait le plus l'avoir près de lui. « Vous êtes un imitateur, vous voulez réussir dans la vie ce que votre père a accompli dans la mort. » Elle, si subtile, n'avait pu se tromper. Il ne l'aimait pas, c'était encore le vieux démon de l'imitation qui le guidait, une séquelle douloureuse demeurait en lui. Volontairement, il écrivait dans un style impersonnel et froid et ne répondait qu'avec dix jours de retard.
     
    Il en était arrivé à une sorte d'engourdissement du cœur et avait acquis la maîtrise de ses pensées. Agnès s'était mariée, l'usine tournait normalement. Sa mère épouserait le notaire l'été prochain. Il dormait profondément et longtemps, sans jamais faire de rêve. Chaque matin, la glace du cabinet de toilette lui renvoyait l'image du nouveau Jean-Louis. Son visage bronzé avait minci et les yeux bleus paraissaient plus grands, plus vifs, plus mobiles. Au-dessus des tempes, les cheveux s'éclaircissaient. Ses mains avaient perdu de leur blancheur, mais rien de leur finesse bien qu'elles aient été meurtries par les travaux.
     
    Il avait abandonné, sans s'en rendre compte, la démarche mécanique et rapide, cette rigidité du torse imitée de son père, pour une façon plus souple d'avancer à grands pas, chaussé de gros souliers. Il était plus fort et les longues marches dans la campagne avaient changé le rythme de sa respiration, devenue plus ample, moins contrainte. Depuis plusieurs mois, il n'avait pas porté de veston. Pantalon de velours côtelé, chemise de flanelle et un gros pull-over, jeté sans soin chaque soir et enfilé dès le lever, constituaient sa tenue familière, complétée par un chapeau qui avait été autrefois « de ville », mais dont le feutre décoloré par le soleil et la pluie avait acquis une mollesse confortable.
     
    Plusieurs fois il s'était rendu à l'église de Chiusi pour entendre la messe, tôt le matin, avec quelques paysannes en fichu noir. Par moments, une prière spontanée lui venait aux lèvres. Comme s'il n'avait pu contenir ce besoin de s'adresser à Dieu. Une phrase d'un Père jésuite lui revenait en mémoire. « Je ne prie pas, disait-il, ça prie en moi. » C'était une autre preuve de cette disponibilité de l'être qu'il atteignait enfin, car il lui semblait que l'homme délivré des contingences et des obligations faussement indispensables avait une part de lui-même qui retournait tout naturellement à Dieu.
     
    Le scepticisme de son père lui avait depuis longtemps fait oublier l'éducation chrétienne que les jésuites lui avaient dispensée, mais il était sûr maintenant que l'attitude de

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