Une tombe en Toscane
sa mère et sa sœur, lui paraissaient une entité lointaine, mais il savait que tout échec l'y ramènerait. Il importait donc qu'ici même il trouve son âme et sa personnalité. Les prisons étaient ouvertes comme une fenêtre sur la nuit toscane. Il avait cessé d'être son propre geôlier.
Il se mit au lit très vite après avoir pris, au hasard des rayons, un livre qu'il n'ouvrit pas. Immobile, il attendit longtemps le sommeil, un peu comme celui qui ayant absorbé le poison attend la mort, parce qu'il était sûr que l'homme qui demain ouvrirait les yeux sur la chambre ensoleillée serait autre. La voix et le baiser d'Anne lui parvinrent encore une fois de la surface des souvenirs.
« Je viens seulement de naître », et l'inconscience du repos l'emporta vers son premier jour.
3.
Quand la première pluie de novembre détrempa la campagne, le vieux Bartoli annonça que la saison des fouilles était finie.
–Jusqu'au printemps, nous aurons assez de travail, dit-il, pour nomenclaturer les pièces, reconstituer les urnes, recoller les assiettes et les plats et récurer les cistes de bronze qui sont de loin les pièces les plus intéressantes mises au jour cette année.
En un peu plus d'un mois, Jean-Louis Malterre avait progressé sensiblement dans la connaissance de l'art étrusque. Ses veillées avaient toutes été occupées par la lecture d'ouvrages recommandés. Il avait adopté le mode de vie du professeur. Il rentrait parfois les mains gonflées d'ampoules, après avoir manié pendant des heures la pelle et la pioche. Le professeur Bartoli devait modérer son ardeur de terrassier.
L'apparition d'un morceau de bucchero – cette pâte argileuse noire et brillante à l'aspect métallique – lui semblait l'indice d'une trouvaille possible. Il imaginait des amphores, des vases à portée de sa pioche et, seule, la fatigue de ses bras et de ses reins tempérait son enthousiasme.
Le vieux Bartoli, sur une carte quadrillée, s'efforçait à une stratégie patiente dont les principes se modifiaient sans cesse. Tandis que Jean-Louis et quelques fils de fermiers piochaient un quadrilatère piqueté, le professeur faisait son cours. Pour lui, les collines n'étaient pas désertes, les champs et les pâturages n'existaient pas encore, son imagination et sa science construisaient à leurs places une cité, aux édifices de bois ou de brique, un temple élevé à Vertumne, le dieu toscan, maître de la végétation, des voies funéraires bordées de tumuli, véritable ville où les morts attendaient dans des tombes pareilles à des habitations confortables quelque mystérieuse renaissance.
« Il ne nous reste que des tombes, disait en soupirant le vieux Bartoli, et encore ne pouvons-nous trouver que des nécropoles pillées par les Romains, ce qui explique la rareté des bijoux d'or et de bronze dont, cependant, les Étrusques n'étaient pas avares pour leurs morts. »
Peu à peu, Jean-Louis, par ses lectures et ses conversations, avançait dans la compréhension de cette civilisation qui paraissait avoir voulu nier l'abandon de la mort. Sa foi naissante donnait plus de passion à sa curiosité. Qu'importaient les ampoules aux mains et les veilles qui lui brûlaient les yeux, il espérait la Terre promise et, chaque jour, son cheminement devenait plus fébrile.
Après l'exaltation des fouilles, vinrent les journées d'hiver et le patient artisanat des deux hommes dans l'ancienne écurie. Des gravures, des photos, des ouvrages de référence guidaient leurs travaux, au milieu des puzzles incomplets que proposaient les pièces à reconstituer. Les réussites étaient rarement totales. Partant de petits fragments, ils obtenaient parfois, après des heures d'essais et d'assemblages, un fragment plus important qui permettait d'imaginer un volume ou une forme. Les mains tachées de colle et de terre, ils s'efforçaient alors d'identifier l'objet et de déterminer son époque.
– J'imagine quelquefois, dit un jour Jean-Louis, un archéologue de l'an 5000 qui se livrerait à cette même occupation et s'efforcerait de reconstituer notre époque d'après de vagues vestiges épargnés par un cataclysme mondial, une destruction de l'humanité actuelle par une guerre atomique... il pourrait prendre alors pour œuvre d'art un piston de moteur automobile et ne voir que tessons inutiles dans un morceau de vitrail de Chartres.
- Pour un archéologue consciencieux, le
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