Une tombe en Toscane
villa de Bartoli, il croyait enfin à lui-même.
Le printemps arriva sans prévenir. Un matin, Jean-Louis poussa les persiennes qui claquèrent contre la façade avec un bruit inhabituel, comme si l'air avait une sonorité nouvelle. Sur les branches de l'arbre, de l'autre côté du chemin, il y avait de minuscules pousses vertes et veloutées, comme des souris lilliputiennes, et toutes les couleurs du ciel et de la terre paraissaient avivées comme après une lessive, sous une lumière presque brutale.
Le vieux Bartoli fumait sa première pipe sur le perron de sa villa. Il eut un clin d'œil et tira une bouffée gourmande qu'il souffla ensuite droit devant lui, dans un sifflement attendri.
- Privamera, dit-il, l'Étrurie va revivre. Si le temps se maintient, dans quinze jours nous reprendrons la pioche ; j'ai des projets.
4.
Un lumbago opiniâtre priva le professeur Bartoli du plaisir de voir fleurir les collines de Chiusi. Mars s'annonçait clair et doux et les gerçures des chemins de terre s'écrasaient sous les pas.
Jean-Louis passait quelques heures chaque jour au chevet de son vieux maître. Après avoir mis de l'ordre dans l'atelier qui, les travaux de l'hiver terminés, prenait un aspect de réserve de musée, il paraissait impatient de reprendre la pelle et la pioche.
- Je sens que cette saison nous trouverons quelque chose de bien, disait le vieux Bartoli. J'ai remarqué que les tombes ouvertes à ce jour pouvaient se situer sur les côtés d'un rectangle et sur ses diagonales. Il suffira, peut-être, de fouiller sur ces axes pour découvrir de nouveaux tombeaux. Rien n'empêche d'imaginer que les cimetières étrusques avaient une ordonnance géométrique. S'il en est ainsi, nous avons du travail.
Quelques jours après cette conversation, alors que Jean-Louis bavardait avec des touristes anglais, devant la célèbre tombe du Singe qu'ils venaient de visiter, un paysan, ouvrier habituel du père Bartoli, vint à lui.
- Signore, dit-il, en enfonçant un pieu de clôture sur une terre que je viens d'acheter, j'ai trouvé un trou.
C'était toujours ainsi qu'on découvrait les tombes. Il était même arrivé qu'un laboureur vît un de ses bœufs disparaître jusqu'au poitrail dans l'escalier d'une salle souterraine. Jean-Louis prit congé des Anglais et suivit le paysan. Le pieu avait disparu. Dans la terre rocailleuse encore durcie par l'hiver il n'y avait qu'un trou, où l'on pouvait passer le bras. D'après l'Italien, la croûte couvrant l'excavation ne devait pas avoir plus d'un mètre d'épaisseur. Il devenait imprudent de circuler aux alentours, car elle pouvait recouvrir un simple puits comme cela s'était déjà vu.
Jean-Louis repéra le lieu et conseilla au paysan d'attendre que le professeur soit debout avant d'entreprendre quoi que ce soit.
- Si on trouve des choses, j'aurai ma part ? demanda l'homme.
- Bien sûr, c'est la loi.
« Sans le lumbago du vieux Bartoli, on aurait pu commencer tout de suite », pensa-t-il, oubliant que le matin même il avait décidé d'aller passer quelques jours à Sienne.
Il trouva le vieux professeur calé sur ses oreillers, une pile de livres sur sa table de nuit, rêvant devant une carte à grande échelle dépliée sur les draps.
- Venez voir. C'est bien ce que je vous disais hier!
Et désignant les coups de crayon bleu :
– Toutes ces croix indiquent les tombes connues. Il y en a sept qui se trouvent géométriquement situées comme je vous le disais. Si je les relie par des lignes droites, j'obtiens un rectangle et ses diagonales.
Se penchant sur la carte, le jeune homme lâcha une exclamation que le vieux Bartoli prit comme un hommage à sa perspicacité.
- Vous avez certainement raison, il y a à faire par là, dit Jean-Louis en suivant de l'index le tracé de Bartoli.
Tandis qu'il écoutait d'une oreille distraite le vieil homme développer son argumentation, son esprit travaillait et ses yeux enregistraient les détails du plan. Après l'étonnement de tout à l'heure, l'assurance lui venait que le pieu de Silvio avait exactement disparu au croisement des diagonales du rectangle tracé par le vieillard. Il en était certain. Le chemin du Monte Verde et la tombe du Singe fournissaient des repères précis. Si c'était bien une salle funéraire que Silvio avait repérée, ce pouvait être la plus importante du cimetière, celle du centre qui renfermait
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