Une tombe en Toscane
Louis Malterre avait manqué de sincérité, car seul Dieu pouvait promettre une suite à son amour humain, tragiquement inachevé.
En Toscane, au milieu des êtres simples pour qui prier était une chose aussi naturelle que boire, manger et faire l'amour, les intermédiaires des œuvres divines perdaient toute signification temporelle, pour ceux des croyants qui, comme lui, ne voulaient pas s'embarrasser des disciplines d'une église. Plus que des oraisons, ses prières étaient des communications de créature à Créateur, peut-être même seulement des méditations, auxquelles Dieu se trouvait mêlé en témoin. Parce qu'il gardait intacte et naïve la foi de l'enfance réapparue après des années d'oubli, il refusait d'accorder une importance mystique à ces élans, qui, finalement le rapprochaient plus de son être intime que de Dieu.
Un soir Bartoli lui avait longuement parlé de ce qu'il supposait être la religion des Étrusques. « À coup sûr, ceux-ci considéraient leur religion comme révélée, et Cicéron rapporte qu'à l'époque de Tarchon, un paysan fondateur présumé de Tarquinia vit jaillir soudain de la terre qu'il labourait un être surnaturel, un enfant d'une rare beauté ayant la sagesse d'un vieux philosophe. Cet enfant, c'était Tagès, qui fit aux Étrusques rassemblés des révélations sur la divinité et leur enseigna la doctrine et le sens des oracles. Tous les anciens s'accordent, et l'étruscologue moderne Alain Huss le démontre, pour reconnaître que les Étrusques comptaient parmi les peuples les plus religieux du monde. »
Le vieux Bartoli était de ceux qui croyaient à une religion monothéiste des Étrusques sans toutefois mésestimer l'importance d'une série de divinités spécialisées, comme Vertumore, déesse de la végétation, Turms, conducteur d'âmes, et bien d'autres.
Les soirs où il abordait ces questions, le vieux Bartoli finissait toujours par arriver, au bout de sa cinquième pipe de tabac odorant, à parler de Turan, sa déesse préférée. Dès lors, ce n'était plus qu'un monologue, au cours duquel le professeur poursuivait le mythe qui lui tenait le plus à cœur. « Turan, disait-il, c'était la dominatrice généreuse, celle qui commandait, qui exigeait, mais qui savait donner. On voit son effigie sur les miroirs étrusques de la dernière période et l'on peut supposer qu'elle est gardienne sévère et attentive des tombeaux. Belle, autoritaire, élégante, c'est ainsi que les Étrusques la représentaient, c'était la femme devenue déesse. » Et la palabre se terminait toujours par la même phrase : « Je donnerais bien tout ce que j'ai déterré à ce jour pour une seule statuette intacte de Turan. »
Ces soirs-là, Jean-Louis regagnait son lit en proie à une grande exaltation. Il se jetait sur les ouvrages dont la bibliothèque regorgeait pour tout apprendre de Turan. Il comparait les auteurs, prenait des notes et se fabriquait une image de l'introuvable déesse, qui reposait peut-être sous une de ces pâtures que foulaient en chantant les bergers.
La déesse avait le visage d'Anne, ses mains aux doigts minces et, si elle avait jamais parlé, ce devait être avec la voix de la jeune fille. Dans ses pensées, le mythe insaisissable et le sentiment d'amour, qu'il refusait avec force, se mêlaient.
Pendant tout l'hiver, il vécut ainsi élevant sa quête chimérique au rang d'un but secret. Au début, ce n'avait été qu'un jeu et son propre enthousiasme le faisait sourire, puis peu à peu, tout s'était cristallisé autour de ce désir de connaissance. Les chevaliers de la Table ronde à la poursuite du Saint-Graal n'étaient pas plus fervents.
C'est ainsi qu'il franchit encore une étape. Après s'être enfin rejoint par-delà les années où il s'était nié lui-même pour ressembler à un autre, il avait la faculté maintenant de sortir de son être réel, de donner vie à des fictions. Le plein fonctionnement de son esprit et de son imagination lui conférait la grâce d'être humainement libre.
Par un glacial matin d'hiver, au petit jour, il gravit la colline où, d'après Bartoli, s'était élevé autrefois un temple étrusque et là, conscient de son existence propre et indépendante, ne sachant s'il voulait s'adresser au ciel plein de nuages spongieux ou à toutes les divinités défuntes, il cria, face à la campagne déserte : « Je suis, je suis, je suis... »
Quand il redescendit vers la
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