Une veuve romaine
j’avais amené avec moi un joueur de flûte et deux danseurs de glaive phrygiens, ç’aurait encore mieux fait l’affaire.
Au cours de toutes mes visites aux Hortensius, je n’ai jamais été reçu deux fois dans la même pièce. Ce soir-là, je fus introduit dans un boudoir aux dominantes bleu azur. Des dessus en tissus précieux étaient négligemment jetés sur les divans, dans un abandon suggestif. Des coussins rembourrés, aux housses brillantes, s’entassaient dessus, avec les franges et les glands bien visibles. La pièce était encombrée de meubles : consoles de bronze soutenues par des satyres atteints de priapisme, fauteuils d’argent à pattes de lion, cabinets en écaille de tortue. Ces derniers offraient aux regards des verroteries syriennes en forme de spirales, des objets d’ivoire, une assez jolie collection de petits miroirs étrusques, et une coupe d’or massif dont j’ignorais l’usage, mais qu’ils appelaient probablement une « coupe votive » – elle évoquait davantage pour moi le pot de chambre d’un roi macédonien particulièrement vulgaire.
Avec leur peau bronzée et leurs yeux redessinés à l’antimoine, les femmes paraissaient aussi tape-à-l’œil que le décor. Sabina Pollia s’étalait sur sa couche à la façon d’un buisson qui prend possession d’un jardin d’herbes aromatiques. Au premier abord, l’attitude d’Hortensia Atilia semblait plus réservée, mais on s’apercevait vite qu’elle tenait un pied replié en arrière dans l’unique but d’exposer une jambe nue. En fait, en les regardant se faire face, uniquement séparées par un énorme plat de raisins, je ne pouvais oublier les commentaires désobligeants d’Helena (ce qui répondait vraisemblablement à son intention). Elles portaient toutes les deux des robes aux drapés somptueux, davantage étudiés pour glisser de leur corps que pour en couvrir les formes splendides. En regardant Pollia, j’étais curieux de savoir si c’était sa broche d’épaule gauche qui allait descendre la première le long de son joli bras, ou bien la droite. Pollia s’était parée d’émeraudes ; Atilia ruisselait sous les perles indiennes.
Le fils d’Atilia, un enfant banal, était également présent. À genoux sur le sol de marbre, il jouait avec un petit âne en terracotta. Il devait avoir environ 8 ans. Je lui fis un clin d’œil, et il me regarda avec l’hostilité ouverte d’un petit garçon qui aperçoit un bec étranger dans son nid.
— Alors, Falco, que nous apportes-tu ? voulut savoir Pollia.
— Seulement des nouvelles, m’excusai-je.
L’épaule gauche de la robe pourpre de Pollia descendit si bas sur son bras qu’elle en parut ennuyée. Elle la remonta, donnant ainsi au côté droit la possibilité de glisser langoureusement le long de son sein.
— Eh bien, raconte ! s’exclama Hortensia Atilia en agitant les orteils de son pied levé.
Atilia préférait garder ses broches bien centrées sur ses fines épaules. Résultat : alors qu’elle était étendue sur sa couche, le devant de sa robe (bleu marine, et parvenant presque à être de bon goût) se drapait en une sorte de parabole, de façon à ce qu’une personne debout au-dessus d’elle puisse disposer d’une vue plongeante par l’échancrure. Elle possédait en abondance ce que les déesses de la maternité aiment à exposer – ce qui me laissa complètement froid, car je n’ai pas la fibre religieuse.
Sans plus de préambule et sans omettre un seul détail, je racontai à mes deux clientes ce que j’avais découvert jusqu’alors.
— En ce qui concerne l’astrologue, personnellement, j’ai toujours pensé qu’il s’agissait de superstition. Néanmoins, je vous conseille de ne pas mentionner le fait à Hortensius Novus. Cela pourrait le rendre nerveux, et les gens nerveux ont davantage tendance à avoir des accidents…
— Tout ça ne prouve rien ! décida Pollia d’un ton abrupt.
Il était clair qu’elle avait bien bu en dînant. Et qu’elle était prête pour le dessert. Elle me dévorait des yeux – mais je conservai évidemment tout mon sang-froid.
— Je suis le premier à l’admettre. Mais passer commande d’une pierre tombale, c’est tout de même autre chose ! Severina Zotica prépare son mariage avec un cynisme qui me pousserait à prendre la fuite, si j’étais son futur époux.
— Oui.
L’âne du petit garçon entra en collision avec une table ; sa mère fronça les
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