Une veuve romaine
limites de la cité, de l’autre côté du camp principal des prétoriens. Bien avant d’atteindre cette réserve de bêtes sauvages, j’entendis leurs rugissements et leurs barrissements, étrangement incongrus dans les environs de Rome. La ménagerie impériale regroupait toutes les créatures étranges dont j’avais entendu parler, ainsi que beaucoup d’autres. Mes premières questions furent ponctuées par les claquements de mâchoires de crocodiles enfermés dans des cages auxquelles je tournais le dos, tandis que des autruches tendaient le cou par-dessus les épaules de mes interlocuteurs. Je vis des rhinocéros à moitié morts, des singes tristes, des léopards au pelage terne, dont s’occupaient des hommes aux cheveux longs qui paraissaient aussi hargneux et imprévisibles que leurs pensionnaires. L’odeur se dégageant des lieux était innommable. Entre les cages s’étirait une étroite allée de boue, souillée de quantité d’immondices.
J’avais demandé à parler à Grittius, le neveu de Fronto. On me répondit qu’il avait regagné l’Égypte, mais que si je cherchais à organiser une fête spectaculaire, je devais m’adresser à Thalia. Comme je ne sais jamais quand je dois couper les ponts et m’en aller, je suivis leurs indications jusqu’à une tente rayée. J’écartai d’un geste hardi la toile servant de porte et entrai sans hésiter.
— Oooh ! couina une voix qui aurait pu affûter la lame d’une charrue. C’est mon jour de chance !
C’était une grande fille. Plus grande que moi. Grande de partout. Elle était assez jeune pour qu’on emploie le mot « fille » en parlant d’elle, sans se montrer irrespectueux. Je pus constater que tous ses attributs étaient proportionnés à sa taille. Sa tenue s’avérait conforme à celle d’une artiste : quelques étoiles, deux ou trois plumes d’autruche (je commençais à comprendre pourquoi celles que j’avais aperçues dehors avaient l’air si mécontent), un petit morceau de tissu transparent et un collier.
Au premier coup d’œil, on pouvait prendre son collier pour du corail, mais on s’apercevait assez vite que ses reflets émaillés étaient animés d’ondulations. De temps en temps, il glissait de son cou et elle le remettait en place d’un geste machinal. Il s’agissait d’un serpent vivant.
— Inhabituel, hein ?
Son expression tout à fait sereine en disait long. Dans un combat qu’elle livrerait à un reptile vicieux, toute ma sympathie irait au serpent.
— Avec un tel bijou pour décorer ta trachée, j’imagine que les hommes t’ennuient rarement.
— Les hommes se débrouillent toujours pour te causer des ennuis, trésor !
Je me contentai de sourire d’un air contrit.
— Tout ce que je veux, moi, ce sont des paroles aimables.
Elle éclata d’un rire tonitruant.
— C’est ce qu’ils disent tous ! (Puis, elle me regarda comme si elle s’était mis en tête de me materner. J’étais terrifié.) Je suis Thalia.
— L’une des Grâces !
Cette enquête tournait à la folie.
— Oh ! le petit coquin ! Et toi ? Tu t’appelles comment ?
Tout en me disant que j’avais probablement tort, je lui appris mon véritable nom.
— Eh bien, Falco ? Tu t’es sauvé de chez toi pour devenir dompteur de lions ? C’est ça ?
— Non, ma mère ne l’accepterait jamais ! Tu es quoi ? Contorsionniste ?
— N’importe qui pourrait être contorsionniste avec un python dans le…
— Tu as parfaitement raison ! la coupai-je hâtivement.
— Je danse avec un serpent, précisa-t-elle.
— Très bien. Tu danses avec le serpent que tu as autour du cou ?
— Avec lui, là ? Tu plaisantes ! C’est celui que je porte tous les jours. L’autre fait vingt fois sa taille !
— Ah ! excuse-moi. Je te croyais en train de répéter.
La danseuse au serpent fit une grimace.
— Ce que je fais dans mon numéro est déjà assez dangereux quand je suis payée. Pas question de répéter pour rien.
— J’aimerais bien voir ton numéro, un jour, affirmai-je en souriant.
Elle me gratifia du regard perspicace et immobile des gens qui vivent en compagnie d’animaux venimeux. Elle était habituée à se tenir sur ses gardes, même quand elle donnait l’impression d’être occupée ailleurs.
— Qu’est-ce que tu veux, Falco ?
— Je suis un détective, dis-je, en optant pour la vérité. J’essaie de coincer une meurtrière. Je suis venu te demander si
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