Une veuve romaine

cette bande.
    — Et tu leur en veux ?
    — Pas assez, répliqua-t-il finement, pour avoir envie de les assassiner !
    — De toute façon, tu aurais plutôt choisi un hachoir à viande ?
    — En effet. Rien de moins professionnel que le poison ! sourit-il.
    — Puisque tu es très observateur, as-tu remarqué si l’une des personnes présentes était particulièrement nerveuse ?
    J’évitai à dessein de nommer Severina Zotica.
    — Ils étaient tous nerveux, répondit-il sans hésiter.
    — Novus y compris ?
    — Lui en particulier.
    J’avoue que cela me surprenait.
    — Et qu’est-ce qui le rendait si nerveux ? (Il me gratifia d’un large sourire gaulois, plein d’intelligence et de charme. Je ne pus me retenir de rire.) Oh ! désolé, j’avais oublié ! Comment pourrais-tu le savoir, toi qui n’es qu’un cuisinier ?
    — Les cuisiniers ont l’habitude d’ouvrir leurs oreilles en grand pendant que les invités mangent !
    — Alors, tu vas pouvoir me l’apprendre ?
    — C’est à cause des affaires dont ils discutaient. Le dîner avait été organisé dans cet unique but. (J’attendis sans prononcer un seul mot. Il savait ménager ses effets.) Je crois qu’ils essayaient de former une nouvelle association, dit-il, l’air content de lui.
    — Dans quel domaine ?
    — L’immobilier.
    — As-tu pu saisir quelques détails ?
    — Non, Falco. Quand ils en sont venus à discuter de choses sérieuses, nous avons tous été renvoyés. Je suppose que tu voudrais que je te précise, suggéra-t-il d’une voix douce, si j’ai vu Hortensius Novus manger ou boire quelque chose que personne d’autre n’a touché ?
    — C’est très probablement ce que j’allais faire.
    — Eh bien, la réponse est non. (Viridovix me décevait beaucoup.) La plupart ont touché à tous les plats et à tous les vins. Si le poison était dans la nourriture, ils doivent être tous morts à l’heure qu’il est. Les serveurs se montraient très attentifs, mais c’était le genre de réunion où tout le monde mettait un point d’honneur à offrir de la nourriture à son voisin.
    — Ils se tenaient tous bien ?
    — Trop bien, si tu vois ce que je veux dire.
    — Mais l’ambiance était détendue ?
    — En apparence, seulement. On percevait beaucoup de tension. J’avais même peur que ça affecte les serveurs, qu’ils finissent par laisser échapper quelque chose. Un harpiste avait été engagé, mais on l’a payé et renvoyé sans le laisser jouer. La soirée s’est terminée relativement tôt.
    — Et qu’ont-ils fait ensuite ? Les as-tu aperçus ?
    — Oui, parce qu’on attendait pour débarrasser… Après avoir quitté la salle à manger, Crepito, Felix et leur invité se sont attardés quelques instants sous le portique.
    — Ils ont poursuivi leur discussion ?
    — À voix basse. J’ai cru néanmoins comprendre qu’ils n’étaient pas d’accord sur une action entreprise par Novus. Quelqu’un a proposé de boire une coupe, mais l’invité a prétexté un rendez-vous urgent. Quand il est enfin parti, Felix et Crepito se sont éloignés ensemble, en se parlant presque à l’oreille.
    — Ils avaient l’air satisfait ?
    — J’ai nettement eu l’impression que non.
    — Et où se trouvait Novus ?
    — Il était parti ailleurs.
    — Avec Severina Zotica ?
    — Non, répondit le cuisinier. J’aurais dû te le dire avant. Severina Zotica n’a pas assisté au dîner.
    À ce moment-là, une sandale crissa sur le marbre. Viridovix me posa une main sur le bras en signe d’avertissement. Me retournant sur mon siège, je vis un homme s’encadrer dans la porte, enveloppé d’un nuage d’ail et d’encens. Il ne pouvait s’agir que d’un membre du triumvirat Hortensius.

25
    Il ressemblait à Novus, en un peu plus âgé : même couleur de peau, même robustesse bien nourrie. Un corps lourd surmonté d’une grosse tête. La moustache noire et bien fournie qui barrait le visage dissimulait les mouvements de la bouche.
    Il fit preuve d’un étonnant manque de curiosité à mon égard. Il ne parut pas se soucier le moins du monde de ce que je faisais, installé dans la salle à manger familiale, en grande conversation avec le chef cuisinier. Il se dirigea tout droit vers le flacon bleu dont je venais d’apprécier le contenu en compagnie de Viridovix. Heureusement que j’avais posé ma coupe à mes pieds, où il ne pouvait l’apercevoir. Le cuisinier