Vengeance pour un mort
dans l’escalier menant à sa chambre, David se versa à boire et reprit la parole.
— J’ai attendu que tout le monde soit couché, Jacob, parce qu’il y a une chose que je dois te révéler.
Raquel se figea.
— Cet homme, tu sais celui dont je veux parler – et je ne reviendrai pas sur toute l’histoire –, ce n’est pas de l’argent qu’il attendait de la part de Bonafilla, ainsi que nous le pensions, mais des informations relatives à ton patient.
— Des informations de quelle sorte ?
— Son nom, sa maladie, s’il était marié, la gravité de son état. Elle lui a dit qu’elle n’était au courant de rien – qu’elle n’avait jamais vu le patient et ne lui avait pas parlé, et que tout ce qu’elle savait, c’est qu’il s’agissait d’un marchand de Carcassonne. Il l’a menacée à plusieurs reprises et lui a commandé de découvrir la vérité, de se rendre dans sa chambre et de le voir afin de le lui décrire.
— Et qu’a-t-elle fait ?
— Elle lui a menti, mais il ne l’a pas crue.
— De quoi pourrait-il menacer une fille comme Bonafilla ? demanda Jacob.
Il y eut un silence pesant.
— Je crois, dit Isaac, d’après ce que m’a confié Raquel, qu’il lui a fait comprendre qu’il détenait des informations susceptibles de ruiner son père. C’est bien cela, ma chérie ?
— Oui, papa, répondit Raquel, qui réfléchissait à toute allure. Quand elle me l’a enfin avoué la nuit dernière, elle était terrorisée et en proie à la plus grande détresse. Mais elle n’a pas dit ce qu’il voulait vraiment. Malgré moi, j’en suis venue à une autre conclusion.
— Quelle vile créature ! fit Jacob. Menacer un innocent des souffrances qu’on infligera à autrui…
— Est-elle rassurée à présent ? demanda Isaac.
— S’être déchargée de ses soucis sur des épaules plus solides lui permet de dormir en paix pour la première fois depuis plusieurs jours, dit son nouveau mari.
— J’en suis ravi, fit Isaac.
Jacob et David conversèrent à voix basse, mais un juron indigné éclata au bout de quelques instants.
— Mort ! s’écria David. Qui pourrait vouloir la mort d’Abram ? Nul n’était plus doux que lui.
— Je ne comprends pas. Que se passe-t-il autour de nous ? demanda Jacob. Qu’avons-nous fait pour que ces plaies s’abattent sur nous ?
— Parfois la plus infime action entraîne à sa suite une horde de calamités. Elles peuvent aussi se manifester gratuitement. Par exemple, pourquoi Esclarmonda vous a-t-elle envoyé Don Arnau, Jacob ? demanda Isaac.
— Pourquoi ? Je vous l’ai dit. Parce qu’elle pensait qu’il serait plus en sécurité dans le Call. C’est le cas. Peu d’étrangers franchissent notre porte unique, et chacun d’eux est surveillé.
— Il y a d’autres médecins. Pourquoi pas l’un de ceux-ci ? Pourquoi pas le père d’Abram, par exemple ? Avait-elle une raison de vous choisir, une raison précise ?
— Je ne sais pas, fit Jacob, gêné. Pourquoi va-t-on chez un médecin plus que chez un autre ? Un de ses clients lui a peut-être loué mon art. Je le répète, je n’en sais rien.
— Vous avez sans doute raison. L’un de ses clients doit être un de vos patients. Don Arnau sait-il pourquoi elle vous a choisi ? Esclarmonda n’a rien dit à sa dame ?
— Si c’est le cas, je ne suis pas au courant. Mais tout cela n’a pas de rapport avec la mort de ce pauvre Abram. Pourquoi a-t-il dû mourir et de façon si cruelle ?
— Je l’ignore, mais tout ceci doit s’arrêter. Il faut s’occuper de cet homme. Je le dois à Son Excellence et, maintenant qu’Abram n’est plus, je vous le dois à vous, Jacob, mon ami.
Il se tourna vers Raquel et lui parla d’une voix douce.
— Sais-tu où dort l’enfant Jacinta ?
— Oui, papa, dans l’alcôve de la cuisine.
— Réveille-la et fais-lui tes excuses, je t’en prie. Si elle le veut bien, j’ai besoin de son aide cette nuit. C’est très important.
— Si c’est important, papa… répondit Raquel, interloquée.
— Je te verrai plus tard. Il y a beaucoup à faire avant notre départ de Perpignan.
— Que dit Mordecai à propos de ce qui s’est passé ? demanda Isaac en se tournant vers Jacob.
— Mordecai ? Je n’ai pas pris la peine de l’interroger puisque Yusuf était là avec lui.
— Il est toujours utile de voir les événements sous les angles les plus divers. Je suggère de poser la
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