Vengeance pour un mort
lentement avec un sourire d’impuissance.
— J’ignore comment vous parvenez à me traiter comme un petit enfant. Nul autre que vous n’y arrive, Margarida. Pas même mon père.
— Il est temps qu’on s’occupe de vous, répondit Margarida en coupant une autre tranche.
— Quand êtes-vous revenue à la cour ? demanda Johana en repoussant le morceau qu’on lui offrait. Je croyais que vous aviez décidé de vous tenir à l’écart de toutes ces frivolités. Je pensais même que vous aviez prononcé vos vœux.
— Peu de temps après votre mariage. Une des relations de mon époux m’a trouvé cette situation et, peu après, je suis revenue comme dame de compagnie de la princesse Constança.
— Pourquoi avoir changé d’avis ?
— C’est à cause de vous, d’une certaine façon. Quand vous êtes partie, et que vous avez emporté toute votre vivacité, toute votre énergie, avec vous, le couvent m’est apparu comme une tombe. Brusquement j’ai eu de nouveau envie de compagnie, j’ai voulu pouvoir parler avec des dames comme vous.
— Mais vous étiez heureuse chez les sœurs, s’étonna Johana. Ou, tout au moins, plus heureuse que moi.
— Pas vraiment. Mon mari était mort, mes fils avaient été envoyés au loin pour devenir des hommes. N’ayant pas ma place à la cour d’Écosse et pas de possibilité de me remarier là-bas, j’en ai conclu qu’il m’était impossible d’y retourner. Je me suis réfugiée chez les religieuses, chez qui je mourrais en paix. Mais vous êtes arrivée, tel un moineau perdu dans la tempête qui a besoin de réconfort. En vous aidant, j’ai retrouvé la joie de vivre. Vous m’avez sauvé la vie, Johana, et je me propose de faire de même pour vous, que vous le vouliez ou non. Mais à propos de moineau, je vous trouve bien chétive pour une femme aussi grosse. Auriez-vous des problèmes ? Je veux dire, d’autres que je ne connaîtrais pas ?
— Rien de surprenant, hélas, dit Johana d’une voix mourante.
— Qu’est-ce ?
— Aujourd’hui, le procurateur m’a adressé une lettre pour m’expliquer qu’il a examiné attentivement les charges retenues contre mon époux et qu’il regrette de ne pouvoir influer sur le cours de la justice.
— Cet homme est un sauvage, cracha Margarida. Je pourrais vous raconter de ces choses sur son compte… mais je m’en abstiendrai. Pour le moment, en tout cas. Qu’allez-vous faire ?
— Je l’ignore, Margarida. J’ai tout essayé, en vain.
— Vous ne pouvez pas abandonner. Où est donc votre courage, petit moineau ? Je vous aiderai si je le puis, mais vous devez d’abord vous confier à moi. Nous sommes seules ici, ajouta-t-elle en baissant la voix, et si nous parlons doucement, nul ne nous entendra. Dites-moi, qu’est-il arrivé à Arnau ? Où est-il ?
Johana secoua la tête.
— Dans un endroit sûr, du moins je l’espère. Je ne sais même pas s’il est en vie.
— Comment, vous ignorez vraiment où il se trouve ?
— Margarida, si je le savais, je le rejoindrais et je m’assiérais à ses côtés jusqu’à ce qu’il se remette ou qu’il meure dans mes bras. Mais si j’allais le retrouver… Pour l’heure, je représente un danger pour lui. Je ne puis sortir d’ici sans être remarquée.
— Je sais qu’il a été jeté en prison, dit sobrement Margarida. De manière injuste, certainement.
Elle regarda son amie dans les yeux.
— Je sais aussi qu’une âme courageuse a organisé son évasion.
— C’est vrai, répondit simplement Johana.
— Ne vous inquiétez pas, petit moineau. Je n’en parlerai pas aux autres. J’ignore qui est l’auteur de cette évasion, mais je ne connais qu’une femme qui ait assez de courage pour entreprendre une telle action et assez de perspicacité pour réussir. Que s’est-il passé ?
— Je n’ai pu tout organiser moi-même, se résigna à révéler Johana. Les circonstances m’ont contrainte à m’appuyer sur de fidèles serviteurs. Quelqu’un a parlé. Arnau a été agressé alors qu’il quittait la ville.
— Et grièvement blessé, paraît-il.
— C’est la vérité.
— Combien de serviteurs avez-vous mis dans le secret ? Beaucoup ?
— Deux seulement. À l’un d’eux, je confierais mes jours. S’il a trahi Arnau, les mots vérité et honnêteté n’ont plus leur place en ce monde. Quant à l’autre… Arnau a foi en lui. Je n’ai aucune raison de douter de lui, mais j’en suis moins
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