Vengeance pour un mort
appela-t-elle. Du vin et à manger pour ce messager.
Naomi s’occupait du messager quand Raquel descendit en courant de sa chambre et qu’Ibrahim fit son apparition au portail. Judith regarda autour d’elle.
— Mais où sont ton père et Yusuf, Raquel ?
— Je devais vous prévenir qu’ils sont avec maître Astruch, fit Ibrahim. Ça ne sera pas long.
— Quand devais-tu le faire ?
— Dès que possible, répondit Ibrahim qui lorgnait en direction de la petite pièce attenante à la cour.
— Quand ton maître t’a-t-il dit ça ?
— Avant notre départ, maîtresse, fit-il à voix basse. Tenez, maîtresse, le voici.
Tandis que le messager étanchait sa soif avec du vin coupé d’eau et apaisait sa faim avec du pain, du fromage et des fruits, chacun s’assit autour de la grande table de la cour en attendant que Raquel brise le sceau de la missive.
— C’est daté de ce matin, papa, dit Raquel. Et c’est très bref. « Mon cher Isaac, je vous supplie de m’aider. Je soigne en ce moment un patient qui séjourne chez moi jusqu’à ce qu’il meure ou qu’il guérisse suffisamment pour être déplacé. Il souffre au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Mes pauvres remèdes ne peuvent rien contre sa douleur. Puis-je prier d’apporter quelques-uns des vôtres ? Rien de ce que j’ai pu extraire du jus du pavot n’est aussi efficace que ce que vous m’avez confié lors de notre dernière rencontre. Mon patient paiera volontiers ce que vous lui demanderez. » C’est signé de son nom, papa.
— Je me demande quelle maladie peut provoquer une si grande douleur, dit Isaac. Jacob a l’air de croire que son patient ne mourra ni ne guérira avant notre arrivée. Je ne songe qu’à quelques affections, mais peut-être devrions-nous tout de même préparer des remèdes adéquats. Viens, Raquel, je vais avoir besoin de ton aide si l’on veut terminer avant souper.
— Il va pleuvoir, dit Judith à son mari en ouvrant les volets et en regardant par la fenêtre de leur chambre, le lendemain matin.
Le ciel était gris et menaçant. Les nuages se rassemblaient au-dessus des collines, et le vent pinçait fort pour un début d’octobre.
— Dans ce cas, c’est bien que vous ne veniez pas avec nous, car je ne voudrais pas vous voir tomber malade, répondit Isaac, qui entamait ses ablutions matinales.
— Et moi, j’aimerais vous voir rester à la maison.
Ce n’était pas la première fois qu’elle prononçait ces mots depuis l’arrivée de la première lettre de Jacob Bonjuhes, mais elle faisait preuve maintenant d’une mélancolie dont elle n’était pas coutumière. Puis elle rejeta en arrière sa longue chevelure et elle retrouva sa brusquerie habituelle.
— Je ne vois pas pourquoi ce Jacob ne peut marier son frère à Bonafilla sans votre présence. Et celle de Raquel. Elle a déjà beaucoup à faire avec son propre mariage.
— Passez votre robe, ma mie, dit Isaac qui s’essuyait le visage et la barbe, et aidez Naomi à nous préparer un bon déjeuner avant notre départ. Je vous promets que nous resterons au sec, que nous ferons preuve de la plus grande prudence et que nous vous rapporterons de la ville une friandise de choix.
— Isaac, je ne suis ni Miriam ni Nathan, à qui l’on promet des sucreries ou de beaux atours parce que leur papa s’en va pendant quinze jours.
— Je le sais, Judith. Vous êtes mon épouse bien-aimée, la gardienne de ma conscience et la mère de mes enfants. Je vous reviendrai, je le promets.
Il se dirigea sans hésitation dans la direction de sa voix, posa la main sur sa joue, la saisit à la taille et l’attira à lui.
— Isaac, murmura-t-elle, hâtez-vous, vous allez être en retard.
— Il y a un instant, vous vouliez que je reste. Et maintenant vous me chassez.
— Je ferais mieux d’aller aider Naomi, dit la femme du médecin en s’écartant, les yeux pleins de larmes.
Elle ferma sa robe, se coiffa, recouvrit ses cheveux d’un voile et s’en alla dans la cuisine.
Deux heures plus tard, avec beaucoup d’effervescence, de bruit et d’adieux joyeux, le petit groupe prit la route. En tête venaient Astruch et son fils, Duran, montés sur des mules ; puis la fille d’Astruch, Bonafilla, Isaac, Raquel et Yusuf, l’apprenti d’Isaac, porteur d’une lettre lui permettant de se déplacer librement en royaume d’Aragon en tant que page et pupille de Sa Majesté le roi. Il montait sa jument et était armé
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