Vengeance pour un mort
Arnau est loin du Roussillon à l’heure qu’il est, mais le capitaine est certainement en ville. Il devait témoigner au procès. Il faudrait le trouver.
— Je m’en occupe, dit Vidal après un instant d’hésitation.
— J’irai à Collioure pour voir ce qui se passe, proposa Peyro.
— Je dois faire mon rapport à Sa Seigneurie le vicomte et attendre ses instructions, dit Martin d’un air préoccupé. Il ne sera pas content.
Don Ramon Julià bâilla.
Pere Vidal accompagna son noble hôte, Don Ramon, dans le hall de la demeure, où un serviteur se tenait prêt à ouvrir la porte. Pere Peyro et Martin les suivaient, perdus dans une conversation décousue.
— Maître Pere, si vous voulez bien me pardonner l’impertinence de ma question, dit Martin, pourquoi maître Pere Vidal s’intéresse-t-il tant aux opinions d’un rustre qui, si j’ai bien compris, ne peut lui rapporter un sou de bénéfice ?
— Vous parlez de Don Ramon Julià, n’est-ce pas ? Regardez discrètement en haut de cet escalier, Martin, et vous verrez une jeune femme parée de tant de soieries qu’on pourrait en vêtir toute la cour.
— Je la vois.
— C’est sa fille. Pere Vidal a un rêve, Martin. Un rêve grandiose, celui d’entendre le monde entier adresser des « Votre Seigneurie » à sa fille et de la voir présenter à la cour. Ce rejeton appauvri d’une noble maison ne pense qu’aux cartes, aux dés, aux femmes et aux beaux habits. On peut l’acheter si la somme proposée est assez élevée. C’est du moins ce que croit Vidal.
— Mais les dettes de Don Ramon sont énormes. Je connais peu cette ville pour y être arrivé très récemment, pourtant je le sais déjà.
— Cela coûtera une fortune à Vidal, acquiesça Peyro, mais il pense que le jeu en vaut la chandelle.
CHAPITRE II
Samedi 4 octobre
Doña Johana Marça était assise près de la fenêtre du boudoir attenant à sa chambre. Le soleil de cette fin de matinée qui entrait à flots accentuait la pâleur de son visage et les cernes sous ses yeux. Elle se penchait sur son ouvrage et travaillait avec acharnement à une robe de bébé. Des pas sur le dallage du vestibule l’informèrent de l’arrivée de quelqu’un, mais elle ne leva pas les yeux et ne s’arrêta pas de travailler. La porte s’ouvrit sur une femme vêtue d’une robe simple mais élégante.
— On m’a assuré que vous seriez ici, dit enfin la femme. Il paraît que vous ne sortez jamais.
— Margarida ! s’écria Johana en abandonnant ses travaux de couture. J’ignorais que vous étiez attendue.
— Bien sûr, puisque je ne l’étais pas. Mais la princesse Constança en a eu assez de m’écouter et m’a envoyée ici préparer son arrivée.
— Quand la princesse doit-elle venir ?
— Bientôt. Demain, peut-être, ou peut-être dans une semaine, dans trois, dans quatre. Pendant que Leurs Majestés sont en Sardaigne, Son Altesse Royale n’a plus à se soucier du temps. Mais je m’inquiète davantage pour vous, ma chère Johana.
— Ce sont des paroles réconfortantes, mais je vous assure que je vais très bien.
— Ce n’est pas ce qu’on dit. Il paraît que vous évitez tout le monde. Vous refusez toute conversation, de vous promener avec les autres, d’apporter votre ouvrage à la cour ou même d’écouter dame Angelica faire la lecture.
— Justement, c’est parce que c’est dame Angelica. Ah, Margarida, si c’était vous, je vous écouterais pendant des heures.
— Vous me flattez. Je sais que vous n’allez pas bien. On craint que vous ne cédiez au chagrin avant la naissance de votre enfant, Johana, et, d’après ce que je vois, ces craintes sont justifiées.
— Je ne supporte ni leur sympathie ni leur curiosité, Margarida, dit Johana qui serra les poings à en faire blanchir ses articulations. Ils ont entendu tant de choses à notre propos qu’ils nous assaillent comme une meute et cherchent à connaître dans le moindre détail ce que je sens ou ce que je sais.
— Vous ne pouvez les blâmer. Je m’occupe fort bien avec mon ouvrage et mes livres, mais leur vie est souvent maussade quand Leurs Majestés sont à l’étranger. Cela ressemble plus à une garnison qu’à une cour royale.
— Je remarque à peine les soldats, Margarida.
— C’est parce que vous ne quittez jamais cette pièce, Johana. Vous auriez scandalisé ma vieille nourrice.
— Pourquoi ? demanda vaguement Johana. Asseyez-vous, Margarida,
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