Vengeance pour un mort
d’une épée qu’il maniait déjà avec art. Ester et Leah, les servantes, étaient installées dans la première charrette, avec les coffres et les balluchons des voyageurs. La seconde charrette débordait des biens de la fiancée : un lit de plume, des coffres emplis de linges et d’habits, quelques meubles de valeur et un coffre destiné à contenir de l’or. En plus de deux serviteurs, chargés de conduire les charrettes, Astruch avait engagé deux hommes en armes qui chevauchaient à l’arrière de la procession afin de la protéger. Une fine pluie tombait sur la campagne alors qu’ils prenaient la direction du nord-est, mais le ciel s’éclaircissait. Comme personne n’allait à pied, leur allure était assez vive.
Après un mille ou deux, Astruch ralentit pour se retrouver à côté de Raquel, qui tenait les rênes de la mule de son père.
— Raquel, j’aimerais m’entretenir avec votre père, lui dit-il. Si vous voulez bien me permettre de le guider, peut-être pourriez-vous aller parler à ma fille. Remontez-lui le moral, rassurez-la.
À contrecœur, Raquel lui passa les rênes et pressa sa mule pour rejoindre Bonafilla.
— Vous voyez ce que renferme ce petit coffre noir ? lui dit Bonafilla.
— Je crains que cela ne me soit impossible, répondit Raquel. Il est fermé et, de plus, il se trouve dans la charrette que nous précédons.
— Évidemment qu’il est fermé. Il est empli d’or. Papa m’achète un mari aussi loin de Gérone qu’il le peut, et il dépense une fortune.
— C’est votre dot, Bonafilla, murmura Raquel. Et je n’en parlerais pas ici, sur la route. Vous savez très bien que c’est pour vous et vos enfants, pour que vous viviez dans la sécurité et le confort. Si la somme est importante, c’est parce que votre père vous aime au point de vous sacrifier une telle somme.
— Dans ce cas, pourquoi m’envoie-t-il si loin ?
— Perpignan n’est pas très éloigné, intervint Yusuf, qui ne s’était pas privé d’écouter.
Âgé d’une douzaine d’années, il profitait toujours des occasions que lui octroyaient les privilèges de l’enfance – aborder sans gêne les femmes, par exemple.
— Valencia est bien plus loin, poursuivit-il. Il faut aller à Barcelone puis prendre le bateau.
— Qui vit dans le Call de Gérone que vous préféreriez épouser ? demanda Raquel. Entre treize et soixante ans.
— Je ne vois personne, fit Bonafilla, un peu confuse.
— Les frères Ravaya ? Ou Salomó de Mestre, peut-être ?
— Il est si timide qu’il ne peut parler à une fille sans devenir rouge comme un coquelicot, répondit la fiancée avec mépris. Et puis, il est amoureux de la fille de maître Vidal.
— C’est un problème, évidemment. Mais les frères Ravaya ?
— Ils ont entre treize et quinze ans. Que ferais-je d’eux ?
— Un veuf, alors ? Bonastruch Bonafet ?
— Il est vieux. Et son ventre tressaute quand il marche.
— Quand il me voit, il tire sur mon voile et me dit : « Quelle est la jolie fille qui se cache là-dessous ? » lui confia Raquel. C’est un homme très vigoureux, je puis vous l’assurer.
— C’est sûr, chuchota Bonafilla, je serais veuve plus rapidement avec un homme comme celui-là. Et maître Mahir ? On prétend qu’il peut à peine sortir de sa maison. Il ne m’ennuierait pas beaucoup, fit-elle en riant. Tout ce qu’on exigerait de moi, c’est de lui faire avaler sa soupe. Un bébé de plus dans la maison, quoi.
Son rire était à présent plus cruel que joyeux, et Raquel se trouva mal à l’aise.
— Ce n’est pas bien de se moquer de la vieillesse, Bonafilla. Maître Mahir est un homme bon et cultivé.
Bonafilla secoua la tête sous son voile.
— Je préférerais me rendre à Barcelone pour épouser un homme fabuleusement riche, comme l’a fait Dalia, dit-elle d’un ton boudeur. Au lieu d’être expédiée au nord pour me marier au frère d’un médecin.
— Ah, Isaac, je n’espérais plus entendre à nouveau le rire de ma fille, dit Astruch. Elle se comporte comme si je la condamnais à la peine capitale alors qu’elle va s’unir à un jeune homme beau et prospère.
— Aime-t-elle quelqu’un de plus proche de son foyer ? demanda Isaac.
— Comment serait-ce possible ? Si vous pouviez la voir, Isaac. Si jeune, si timide, et si bien gardée. Elle n’est jamais seule.
— Je sais par expérience qu’une jeune fille tombe toujours amoureuse,
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