Vengeance pour un mort
leur hôte. Je ne pourrais dire combien de fois j’ai joui de l’hospitalité de mes amis de Gérone. Si c’est là ce qu’on appelle un dérangement, puisse-t-il se présenter sous une forme toujours aussi agréable, ajouta-t-il en versant du vin dans le gobelet du médecin.
— Vous vous attendez à des problèmes ? demanda Yusuf, qui s’excusa aussitôt de les avoir interrompus.
— Pas spécialement, répondit Beniamin en se tournant vers l’enfant venu de Grenade. Pourquoi cette question ?
— Il m’a semblé déceler un certain malaise en ville. Mais j’ai probablement tort. C’est seulement mon ignorance qui parle.
— Une ignorance bien perspicace. Les gens sont mal à l’aise. Et notre petite communauté l’est tout particulièrement, car elle ne reçoit nulle protection en dehors de celle qu’elle-même assure.
Chacun regarda les murs solides et les portes qui entouraient la cour.
— Pourquoi ? demanda Raquel.
— Sa Majesté est à l’étranger, et le royaume est aux mains de différentes personnes, expliqua Beniamin. Et quand le roi n’est pas là, nous nous faisons du souci.
— Mais pourquoi ? insista Raquel.
— Nous connaissons tous Sa Majesté, ce qu’elle exige et ce qu’on peut attendre d’elle, intervint Astruch. Contrairement à certains souverains, notre roi ne tergiverse pas dans son jugement. De plus, les dépenses engagées pour la guerre sont lourdes et…
— Les dépenses engagées pour la guerre sont toujours lourdes, le coupa Beniamin.
— C’est exact. À Gérone, il y a aujourd’hui une taxe supplémentaire sur le pain, le vin et la viande : elle est destinée à rembourser les emprunts que la ville a contractés pour la guerre. Cette taxe est mal perçue et, quand il y a ressentiment, il y a souffrance, ajouta-t-il d’un air sombre. Je ne serais pas rassuré si je devais vivre en dehors des murs de notre Call et de notre ville, Beniamin. Quand les paysans et les cultivateurs sont amers, ils déversent leur colère sur la ville et sur nous. Heureusement, nous sommes protégés par de doubles murailles, et le roi a promis de les étendre afin d’y inclure ceux qui vivent dans les faubourgs.
— C’est une entreprise coûteuse, dit Beniamin. Je m’étonne qu’il y ait songé.
— Que se passera-t-il si des armées déferlent une fois encore du Nord ? Ces gens seraient impuissants.
— Ils fondront d’abord sur nous, à Figueres, dit Beniamin. Cela donnera aux habitants de Sant Feliu le temps de se réfugier dans Gérone. Mais à propos, où séjournez-vous demain ?
— J’avais pensé descendre chez un cousin des Cresques, qui a épousé ma cousine. Il possède une petite exploitation agricole près de la côte. Je lui ai écrit dès que j’ai envisagé ce voyage.
— Allons dans mon cabinet discuter de votre itinéraire.
— Venez, Bonafilla, proposa Raquel avec vivacité. Promenons-nous. Où sont Leah et Ester ? Yusuf ?
— Vous parlez tout à fait comme maîtresse Judith, marmonna Yusuf en quittant la table.
Le soleil apparaissait à l’horizon et les éblouissait quand les voyageurs quittèrent Figueres. Le plan d’Astruch prévoyait une étape plus longue que celle de la veille, à travers une campagne qui, bien que fertile et plaisante, ne lui était pas d’un intérêt particulier.
— J’ai le soleil dans les yeux, se plaignit Bonafilla.
Raquel était à présent chargée de lui tenir compagnie en permanence au lieu de chevaucher auprès de son père, avec qui elle pouvait toujours converser.
— Tournez la tête de côté, lui conseilla-t-elle. La mule voit la route, vous n’avez pas besoin de regarder devant.
— Nous n’aurions pas eu à faire ce voyage si papa n’avait pas insisté pour me marier à un homme de Perpignan, reprit-elle sans prêter la moindre attention à Raquel. Je me sens toute raide d’avoir passé la journée sur cette mule.
— Vous le serez encore plus demain, répliqua Raquel d’un ton peu aimable. Mais ça passera. Savez-vous où votre père a l’intention d’aller aujourd’hui ?
— Comment le saurais-je ? rétorqua-t-elle avec humeur. Il ne me parle pas. Il me dit de faire ceci ou cela et de ne pas demander pourquoi. Je serai heureuse de tous les quitter, ajouta-t-elle d’une voix chevrotante.
Elle prit une profonde inspiration et regarda les champs, les bois, les vignobles et les vergers disposés de part et d’autre de la route.
— Où
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