Vengeance pour un mort
ceux qui nous écoutent.
— Personne ne s’en donnerait la peine. Et vous agissez pour le compte d’un associé, n’est-ce pas ? ajouta Peyro en souriant et en écartant son gobelet de vin. Mais revenons à Arnau Marça. En cet instant, je crois que sa veuve cherchera à blanchir sa mémoire après l’avoir mis en terre. Elle fait bien entendu tout ça pour se protéger elle-même, ainsi que son enfant à naître.
— La mort de Don Arnau me cause un grand choc, dit Astruch en pesant chacun de ses mots. J’avais espéré m’entretenir longuement avec lui à propos de cette expédition. C’était le but de notre venue.
— Je crains que vous n’arriviez un peu tard, dit Peyro, qui regarda alentour.
Des hommes étaient entrés, qui demandaient à boire au tenancier.
— Puis-je vous suggérer, messires, de descendre vers le port pour nous donner de l’appétit ? Je vous certifie que cette taverne, même si elle n’est pas très reluisante, sert la meilleure nourriture de toute la ville. Commanderons-nous nos repas avant de faire un tour, messires ?
Plus tôt ce même matin, à une demi-journée de cheval de là, une bonne quarantaine de serviteurs et de villageois ainsi que deux ou trois voisins curieux s’étaient rassemblés dans la chapelle du castell pour y assister à la messe des morts. Ils étaient venus voir le corps d’Arnau Marça : enveloppé dans son linceul, on l’avait porté dans la crypte où il avait rejoint ses ancêtres, de nobles personnages, et certains qui l’étaient un peu moins. Voilée et grosse de l’enfant qu’elle attendait, sa veuve écarta l’étoffe du visage de son mari et effleura son front glacé de ses lèvres. Puis elle se retourna et fit signe à quelqu’un : une belle femme d’une quarantaine d’années, au teint olivâtre, se tenait timidement dans l’embrasure de la porte.
— Felicitat, viens auprès de moi. Tu étais plus proche de lui que quiconque quand il était enfant, dit-elle d’une voix assurée à la femme qui s’approchait. Il sied que tu lui dises adieu.
Elle la prit par le bras et la conduisit auprès du corps.
— Prépare-toi, lui dit-elle doucement.
Felicitat contempla le visage pareil à du marbre et éclata en sanglots.
— Sois brave, murmura dame Johana. Pour lui, pour ce qu’il a fait et pour nous tous, sois brave.
Felicitat prit son souffle en tremblant.
— Oui, madame. C’est le choc de le voir ainsi…
Elle se pencha et l’embrassa, murmura une prière dans sa langue et recouvrit son visage. Quand elle se redressa, son visage était baigné de larmes.
— Peu importe ce qu’on raconte, dit un des voisins alors qu’ils retrouvaient la lumière du soleil, c’était certainement un brave homme. Tu as vu comment sa servante s’émeut de sa mort ?
— C’était sa nourrice, je crois, dit un autre.
— C’est possible, ajouta un troisième. Une nourrice pardonne tout à ses protégés.
Mais dans la foule, la femme d’Arnau Marça prit Felicitat par le bras et l’attira une fois encore contre elle.
— Viens avec moi, dit dame Johana. Aide-moi à monter dans ma chambre.
— Bien sûr, madame.
Une fois la porte de la chambre refermée, dame Johana se tourna vers la servante et secoua la tête.
— Je suis désolée, mais je tenais à ce que tu lui dises adieu.
— Comment est-il mort, madame ?
— De blessures reçues en se battant. Felicitat, je les ai vus se jeter sur lui. Nul ne se serait montré plus brave et plus redoutable. Il était à la fois courageux et intelligent, ajouta-t-elle. Nous le pleurerons longtemps. Peu importe ce que l’on peut dire, il mérite de reposer auprès des nobles seigneurs de Marça.
— Le tombeau familial lui revient de droit, madame. Vous avez eu raison de le ramener ici.
— Nous devons trouver du réconfort dans l’idée qu’il a honoré ses ancêtres. Felicitat, je dois dès demain retourner à Perpignan. M’aideras-tu ? Viendras-tu avec moi ?
— Madame, dans votre état, voyager n’est pas très prudent.
— Ne pas retourner en ville pour s’assurer que justice est rendue serait encore plus insensé.
— Je ferai de mon mieux, madame.
— Parfait. Peux-tu aller chercher Felip Cassa à présent ? J’aimerais m’entretenir avec lui avant notre départ.
— Vous n’êtes pas au courant, madame ? Il est revenu il y a quelques jours pour prendre ses affaires en prétendant que Sa Seigneurie l’avait congédié.
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