Vengeance pour un mort
Nous disposons de documents de voyage signés de la main de l’évêque et du roi qui nous garantissent une libre circulation.
— Dans ce cas, pourquoi nous être conduits ainsi ? demanda Bonafilla, étonnée.
— Mais c’est pour le bien de Johan, pauvre sotte ! Nous pensions à la sécurité de nos hôtes. Les rumeurs vont vite, on dira qu’il fréquente les juifs et que, par conséquent, ce n’est pas un bon chrétien. Avec un voisin comme le sien, c’est tout à fait possible.
Avant qu’elle pût songer à une réplique, le galop d’un cheval les fit se retourner. C’était une jument baie, qui avait de brusques mouvements de tête. Elle se mit au trot, puis au pas pour se ranger à côté de Raquel.
— Yusuf, s’exclama-t-elle, mais où étais-tu ? Je croyais que tu nous accompagnais.
— Elle avait besoin d’exercice, répondit le jeune garçon. Et je voulais m’assurer que rien n’arrive après votre départ.
— Il y avait du mouvement dans la ferme du voisin ?
— Un gamin est sorti chercher de l’eau au puits. Je lui ai fait signe et il m’a répondu. Le reste de la maisonnée semblait endormie.
— Parfait, dit Astruch. J’espère que Johan Cervian ne sera pas inquiété. Je regrette déjà cet endroit : je ne pourrai jamais y revenir.
Quand le soleil fut monté au-dessus de la cime des arbres, nombre de personnes s’engagèrent sur la route : certaines marchaient, seules ou en groupes, d’autres menaient des ânes et des mules chargés de biens de toutes sortes. Des journaliers, très recherchés en cette époque où la main-d’œuvre faisait défaut, se rendaient à leur travail en bavardant, en riant, en chantant et en faisant passer de main en main des outres de vin. Ils virent un autre groupe de marchands qui, bien gardés et l’air grave, s’en allaient à Barcelone, suivis de mules chargées de coffres et de ballots. Ils se saluèrent courtoisement. Des courriers officiels sur leurs agiles montures passèrent au galop sans leur adresser le moindre signe de tête. Même si octobre était déjà là, la chaleur de l’été régnait encore et le soleil, bien que bas dans le ciel, changeait la campagne en un trésor digne de Midas.
— Je dois peut-être vous prévenir, mon ami, annonça Astruch à Isaac, je ne sais exactement où nous dormirons ce soir.
— Nous avons nos capes. Si la pluie ne revient pas, nous pouvons passer la nuit dans un champ. Cela ne me dérange pas.
— La situation n’est pas aussi catastrophique, dit Astruch en riant. Nous descendrons soit chez un ami à Collioure soit chez Jacob à Perpignan. Mais j’ai d’importantes affaires à régler à Collioure.
— Quand pensez-vous que nous atteindrons la ville ? demanda Isaac.
— Nous y sommes presque, fit Astruch joyeusement.
Yusuf se tourna vers Raquel et leva un sourcil.
— Nous y serons certainement à temps pour dîner, oui, ajouta-t-il. Et même avant. Si tout se déroule comme je le souhaite, je réglerai mes affaires en un instant. Nous reprendrons alors la route pour atteindre Perpignan au crépuscule, ou peu après.
— Il serait utile d’arriver avant la fermeture des portes, dit Isaac.
— C’est vrai.
— Vos affaires à Collioure, sont-elles complexes ?
— Pas particulièrement, du moins je l’espère. Je n’y tiens pas une part très importante. Cela concerne surtout Guillem de Castell.
— À Collioure ?
— Oui. Il a investi dans la cargaison d’un vaisseau qui prend la route de l’Orient. Je lui ai avancé une partie de la somme destinée à son achat, il est donc dans mon intérêt de m’assurer que tout va bien.
— J’ai toujours pensé que Don Guillem était un homme aussi honnête que prospère. Je ne crois pas que lui octroyer un prêt puisse poser un problème.
— Vous avez raison. Et si l’expédition réussit, cela ira encore mieux. Il a acheté une petite part – un seizième seulement – d’un navire appelé la Santa Maria Nunciada. Il est à l’ancre à Collioure, je crois, prêt à appareiller. Il m’a demandé d’avoir une discussion avec le capitaine et l’actionnaire majoritaire, Arnau Marça, et de voir comment se déroulent les préparatifs. Tous deux devraient se trouver à Collioure à l’heure qu’il est. Je vous le dis, tout ira très vite si les choses se passent normalement.
— Dans ce cas, nous dormirons ce soir à Perpignan, sans aucun doute, dit Isaac avec courtoisie.
— Mais
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